Le bruit du dégel

3 octobre 2018

"Elle ne répondit pas. Elle continuait de me dévisager attentivement, comme si elle s'efforçait de percer une énigme ou de résoudre une devinette, ce qui aurait dû me mettre mal à l'aise, mais sans que je comprenne pourquoi, et en dépit du soudain revirement de la conversation, ce ne fut pas le cas. Ses yeux s'attardèrent encore un instant sur mon visage et je lui rendis son regard, dans l'attente de ce qu'elle allait dire ensuite. Je commençais à comprendre qu'il était impossible de prévoir ce qu'allait dire Miss Jean Culver, mais aussi à comprendre que ça me plaisait."

Kate est vaguement étudiante en cinéma. Elle vit avec Laurits, un jeune homme manipulateur et déplaisant. Ils passent leur temps à boire et à sortir. Laurits envoie Kate faire du porte-à-porte avec des questionnaires dont elle ne saisit pas forcément l'objectif. C'est au cours d'une de ses tournées qu'elle fait la connaissance de Jean.

Jean accepte de répondre à ses questions à condition qu'elle lui promette de rester sobre jusqu'à leur prochain rendez-vous. Curieux marché auquel Kate se plie cependant, à sa grande surprise. Kate est intriguée par la personnalité de Jean, sa manière de vivre et sa clairvoyance.

Une série de rendez-vous suivra, où les deux femmes dévoileront progressivement leurs douleurs intimes, les tragédies qu'elles ont connu et comment elles y font plus ou moins face. En fait Kate ne se remet pas du décès de son père qui l'a élevée seule. Elle est très passive devant Laurits, elle ne sait d'ailleurs pas très bien pourquoi elle reste avec lui. L'état dans lequel elle est en permanence entre ébriété ou gueule de bois ne l'aide guère à y voir clair.

Une relation de plus en plus profonde va se nouer entre les deux femmes. Autour d'une table, toujours avec du thé et des gâteaux, Jean va raconter peu à peu l'histoire de sa famille qui rejoint l'histoire de l'Amérique, celle qui est glaçante. J'ai retrouvé ici les émeutes de Chicago, dans les années 60 (comme dans "Les fantômes du vieux pays") et les ravages de leur répression, puis la guerre du Vietnam et la façon dont elle a détruit la vie de tant de jeunes hommes.

Si l'éveil progressif de Kate fait plaisir à voir, c'est surtout le personnage de Jean qui m'a touchée. Elle a traversé tellement d'épreuves et pourtant elle sait tendre la main aux autres, les traite avec bienveillance, toujours accueillante et attentive. Sa maison est un havre de paix où Kate trouve le refuge qu'il lui fallait pour s'extraire de son chagrin.

Et puis il y a l'écriture ample et poétique de l'auteur, qui m'avait déjà tant plu dans "Scintillation". Le thème de ce roman m'a paru moins dur, mais tout aussi riche en réflexions sur notre société et son histoire.

Un roman de la rentrée à ne pas manquer.

L'avis de Cathulu Electra

John Burnside - Le bruit du dégel - 336 pages
Traduit de l'anglais par Catherine Richard-Mas
Editions Métailié - 2018