Scintillation
"Dans un paysage dominé par une usine chimique abandonnée, au milieu des bois empoisonnés, l'Intraville, aux immeubles hantés de bandes d'enfants sauvages, aux adultes malades et lâches, est devenue un modèle d'enfer contemporain. Année après année, dans l'indifférence générale, des écoliers disparaissent près de la vieille usine. Ils sont considérés par la police comme des fugueurs.
Léonard et ses amis vivent là dans un état de terreur latente et de fascination pour la violence. Pourtant Léonard déclare que, si on veut rester en vie, ce qui est difficile dans l'Intraville, il faut aimer quelque chose. Il est plein d'espoir et de passion, il aime les livres et les filles". (4e de couverture)
Le décor est planté. Une zone contaminée, oubliée de tous, une presqu'île où domine le squelette de l'usine désaffectée où vont rôder les bandes du coin. Si j'ai cru d'abord être embarquée dans un thriller, l'histoire prend ensuite des directions différentes, obligeant le lecteur à s'adapter à une nouvelle vue de la situation. Au final, je ne sais pas très bien ce que j'ai lu, si ce n'est que c'est une histoire fascinante, racontée à plusieurs voix.
La plus attachante est sans conteste celle de Léonard, jeune garçon de quatorze ans, vivant seul avec son père dont il s'occupe. Comme tant d'autres sur la presqu'île, celui-ci est atteint d'une maladie inconnue dont l'issue est toujours la même. Léonard passe son temps à traîner dans l'ancienne usine, en explorant les moindres recoins.
"En fait, je sais que tout le monde dit qu'elle est dangereuse, qu'elle nous rend tous malades, qu'on aurait dû la raser il y a des années et nettoyer tout l'est de la péninsule au lieu de la laisser pourrir sur place - et tout çà c'est vrai, je sais, mais il faut quand même admettre que c'est beau."
Personne n'a la force ou même l'envie de quitter l'Intraville. Les jeunes rêvent à un ailleurs qu'ils ont peine à imaginer. Pourtant, pas loin d'eux il y a l'Extraville où vivent tranquillement les nantis, ceux qui couvrent les disparitions, avec la complicité tacite de Morrison, le flic corrompu.
Tout cela est bien sombre me direz-vous. Oui, mais l'auteur est poète avant d'être romancier et l'écriture est splendide, les personnages remarquablement construits et il y a de nombreuses digressions qui font réfléchir longtemps après que le livre soit refermé. Une zone empoisonnée et ignorée, des pauvres qui y sont cantonnés sans alternative, des riches qui continuent à s'enrichir, voilà qui résonne très fort dans le monde actuel.
Et puis Léonard est un passionné de lectures, il fait souvent référence à ses auteurs tout comme à ses films préférés, ce qui allège et enrichit l'histoire et nous fait retrouver quelques repères familiers dans cet univers très angoissant.
"J'avais lu La Promenade au phare de Virginia Woolf, le seul titre de cet auteur qu'ils avaient réussi à acheter. Il ne s'y passait pas grand-chose, mais sa façon de voir me plaisait bien, et j'aurais aimé lire d'autres trucs d'elle. Cà m'aurait fait plaisir de connaître son opinion sur l'Intraville : çà aurait fait un bouquin incroyable. Après avoir lu Nostromo, Au coeur des ténèbres et Lord Jim, j'essayais d'imaginer quel effet çà pouvait faire d'avoir Joseph Conrad comme copain, ou peut-être comme oncle, quand on était gamin. J'avais lu Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald et j'avais presque pleuré à la fin, à peu près au moment où le père de Gatsby se pointe. J'avais lu L'adieu aux armes de ce foutu Hemingway et je m'étais demandé pourquoi personne n'avait jamais acheté de dictionnaire à ce mec".
J'ai été moins convaincue par l'aspect mystico-spirituel-new-âge ou autre qui baigne certains passages, ce n'est pas bien grave, tout le reste est très prenant et justifie largement la lecture. Ce ne serait pas charitable de dévoiler les développements de l'histoire, qui nous emmènent souvent là où nous ne pensions pas aller et l'auteur est assez habile pour nous laisser libres de notre interprétation.
Un roman secouant, dans le sens positif du terme.
L'avis de Cuné Petit Sachem Yv
John Burnside - Scintillation - 283 pages
Metailié - Août 2011