"Un soir je l'ai emmené faire un tour. J'ai pris mon équipement et on est allés dans un terrain vague. Le Niko, il balisait. Il tremblait comme une feuille. Putain, vous auriez dû le voir. Pire qu'un gamin qui entre dans un bordel pour la première fois. J'ai fait deux trois tags et je lui ai passé le relais. Malgré le stress, il s'est lâché et s'est mis à bomber comme un malade. Il disait qu'il se sentait enfin libre. Je connais cette sensation. Il n'y a pas de liberté sans transgression. La liberté, la vraie, c'est celle que tu prends, en décidant de ne pas faire ce qu'on t'impose ou de faire ce qui est interdit".
Le mois belge d'Anne et Mina a été l'occasion de renouer avec Paul Colize, dont "Back-Up" m'avait captivée. Un peu moins "Un jour comme les autres".
"Toute la violence des hommes" est mené sans temps mort, avec des chapitres courts, alternant entre présent en Belgique et passé en ex-Yougoslavie au début de la guerre.
Une jeune femme, Amanda, a été poignardée dans son appartement. La police soupçonne Nikola Stankovic, un graffeur anonyme, d'être l'auteur du meurtre. Elle a retrouvé chez lui des esquisses de la scène du crime, tout l'accuse. Il se contente de répéter "c'est pas moi".
Niko n'est pas un inconnu, il a couvert Bruxelles de dessins géants violents et énigmatiques, montrant à la fois un grand talent et des dons d'acrobates, les dessins ayant été réalisés sur des murs difficiles d'accès. A noter que ces dessins existent vraiment (certains ont été recouverts) et que l'auteur a rencontré le graffeur avec qui il s'entretient à la fin du livre.
Niko s'enfonce dans le mutisme, même avec son avocat qui voudrait pourtant le défendre plus efficacement. La question se pose de son l'état mental et il se retrouve en observation dans un établissement psychiatrique, mené de main de fer par sa directrice, Pauline Derval.
Là, on lui permettra de reprendre les pinceaux et c'est à travers ses fresques que l'avocat et la directrice essaieront d'avancer dans la compréhension de ce qui a pu se passer.
Niko, s'il ne peut pas parler, a la tête pleine d'images datant de ses huit ans, où il a vécu le siège de Vukovar, particulièrement meurtrier. Les bombes, la cave, les ruines, la violence omniprésente, il ne peut l'exprimer que dans ses dessins. Il faudra du temps pour décrypter le sens de ce qu'il jette sur les murs. L'avocat et la directrice vont tout mettre en oeuvre pour l'aider malgré lui, touchés par ce qu'ils pressentent de traumatismes terribles dans l'enfance. Niko risque, d'un côté la prison pendant de nombreuses années, de l'autre un internement psychiatrique à vie, il est donc vital de le faire sortir de son mutisme.
L'intrigue est bien menée, laissant le lecteur dans l'expectative pendant un long moment. Coupable ou pas coupable Niko ? Et sortira-t'il de son mutisme ? J'ai particulièrement été intéressée par les passages à Vukovar, au début de la guerre. Je suivais les évènements bien sûr, mais racontés de l'intérieur, avec des yeux d'enfants qui voit son monde exploser, c'est autre chose.
L'avocat est nuancé dans son approche, à l'inverse de la directrice, taillée d'une pièce, à moins que ce ne soit un faux-semblant.
Un polar qui tient en haleine, avec un arrière-plan historique solide.
L'avis de Kathel
Paul Colize - Toute la violence des hommes - 320 pages
Editions Hervé Chopin - 2020