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Le goût des livres
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18 août 2010

Jendia, jendé

AA4"On écoutait ce que disaient les parents : "Jendia, jendé", c'est-à-dire - mais c'est intraduisible en français - "tout homme est homme". En basque, c'est une particularité pour dire "l'hommité".

Restée un peu sur ma faim après la lecture de "en avant route" d'Alix de Saint-André, j'ai enchaîné avec un autre récit sur le chemin de Compostelle, celui de Laurence Lacour, journaliste. Contrairement au premier, qui reste souvent dans l'anecdotique, celui-ci creuse, et creuse profond là où çà fait mal.

Laurence Lacour s'engage sur le chemin un peu par défaut, deux autres possibilités d'échapper à sa vie à ce moment là s'étant dérobées. Elle arrive à la quarantaine porteuse d'une grande souffrance, celle de ne pas parvenir à avoir d'enfant. Souffrance mêlée de culpabilité à cause de plusieurs évènements, l'un très privé, l'autre lié à l'affaire qui l'a absorbée pendant cinq années, celle du petit Grégory.

"De la confusion grandissante de ses sentiments commençait à jaillir une violence muette pour les autres mais dangereuse pour elle-même. Au cours de l'été, à la faveur de son accrochage avec Flo ou d'autres incidents, elle avait réalisé combien il devenait urgent de l'endiguer, d'une manière ou d'une autre".

Le sort en est jeté, elle prendra le chemin, du Puy-en-Velay à St-Jacques-de-Compostelle. Elle part à un très mauvais moment, début octobre, c'est déjà trop tard dans la saison, elle va se heurter aux premières manifestations de l'hiver, mais rien ne l'arrête. Elle marche essentiellement seule, quelquefois désespérée, les idées noires l'envahissant, quelquefois exaltée par un paysage, les éléments, le corps épuisé, mais l'esprit en harmonie avec ce qui l'entoure.

"A l'opposé de son décor, des images l'assaillirent, de prisons-pourrissoirs sans air et sans place où, au même moment, des hommes ou des femmes bien plus jeunes qu'elle perdaient toute chance de pacifier leur propre vie. Elle rêvait qu'un jour quelqu'un aurait l'idée de leur ouvrir tous les chemins d'Europe pour qu'ils y découvrent l'importance du but et des repères, la valeur de l'obstacle et la gratuité de l'échange. Pour qu'ils y gagnent la confiance en eux et la fierté de vaincre. Pour qu'ils y apprennent le bonheur de la solitude et de l'endurance ainsi que l'extrême difficulté d'être libre. Comme elle-même le faisait depuis son départ, ils y vivraient de l'aube à la fin du jour une vie en raccourci, réalisant que rater une journée revient, ni plus ni moins, à rater une existence."

Le chemin sera très rude, à tout point de vue. J'ai été impressionnée et quelquefois bousculée par la franchise de son récit. Des rencontres troublantes se produiront. Comme dans le livre d'Alix de Saint-André, des évènements extérieurs viendront la bouleverser justement à ce moment-là, transformant le but et le sens du voyage.

Je ne peux guère vous en dire plus, c'est le genre de livre qui touche, ou pas, selon son parcours, là où on en est, ce que l'on est prêt à entendre, à accueillir. Sans forcément la comprendre, je ne peux qu'être admirative de ce qu'a réussi Laurence Lacour, je n'aurais certainement pas eu son courage, ni physique, ni sans doute moral. Elle est dans un mal-être important au départ, mais l'ensemble n'est pas sombre, il y a de nombreux passages émerveillés sur ce qu'elle découvre.

"Surtout, fais le détour par Eunate. Le guide suggérait que ses bâtisseurs, les Templiers, s'étaient inspirés du Saint-Sépulcre de Jérusalem ou qu'un noble l'avait commandé pour sa dernière demeure. Elle y vit plutôt l'imaginaire d'une fée. Comme partout, le monument était fermé et elle ne put qu'admirer les registres de son tympan et son cloître aux arcades reliées par des chapiteaux géminés. Puis elle s'étendit sur un rebord tiédi, bercée de divins murmures, et resta longtemps à savourer les privilèges de son existence recouvrée. La lenteur qui réglait son pouls sur celui de la terre. L'espace qui libérait son corps au delà de l'imaginable. La solitude qui la confrontait à l'invisible. Le souffle qui portait ses espérances. Enfin, la liberté de poursuivre ou de renoncer à cette aspiration commune à tous les hommes, du retour aux origines".

Je n'ai pas parlé de ses compagnons de voyage. A cette époque de l'année il y en a peu,  mais ils ont leur importance, Frédéric, Guilhem et quelques autres auxquels on s'attache. Ils se croiseront au hasard des étapes, elle les fuit souvent, préférant la plupart du temps marcher seule et à son rythme.

"On trouvera dans ce récit, et rythmant celui-ci, d'autres propos que ceux de l'auteur. Ce sont les réflexions de Sébastien Ihidoÿ qui, en 1998 au moment du pélerinage relaté dans cet ouvrage, était curé de Navarrenx, petite cité forte des Pyrénées-Atlantiques".

Ces quelques pages insérées dans le texte sont les bienvenues et apaisent l'ensemble. Une lecture marquante.

Objectif Pal : -1           Objectif_PAL

Laurence Lacour - Jendia, jendé Tout homme est homme - 226 pages
Editions Bayard - 2003

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Commentaires
A
@ Anjelica : tu vas finir par trouver ce qu'il lui faut.
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A
je le note pour ma mère, cela pourrait lui plaire...
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A
@ Turquoise : je ne connais pas, je vais aller voir sur internet ce que c'est comme genre de livre.<br /> <br /> @ Cathe : tout pareil que toi :-))<br /> <br /> @ Aloïs : à l'époque où Laurence Lacour l'a fait, on te récupérerait congelée au petit matin !!<br /> <br /> @ Lily : tu as de la chance de l'avoir rencontrée. Je me demande comment ce voyage s'est inscrit dans sa vie après, et aussi comment son entourage a reçu son livre. En tout cas, un témoignage fort.<br /> <br /> @ Thaïs : c'est difficile de parler de ce genre de lecture, çà vient toucher des fibres intimes, mais il vaut largement le coup, n'hésite pas.
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T
je le note, tu en parles très bien et ce que tu en dis m'intrigue. A bientôt
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L
Il y a plusieurs années, j'ai assisté à une conférence de Laurence Lacour où elle présentait ce livre. Je retrouve bien ces propos dans ton billet. Une expression m'avait également marquée, elle parlait de découverte de ce qu'elle appelait son triptyque : trouver l'amour qui nous fait vivre au fond de nous, dépendre des autres et accepter les contraintes extérieures (temps, pente du chemin, etc.). Elle racontait aussi qu'à son retour à Paris, elle éprouvait le besoin de marcher chaque jour au moins une heure, car l'habitude avait été prise. Bien sûr, l'ancien curé de Navarrenx a l'air d'un personnage tout à fait extraordinaire ! Pour ma part, je crois que j'aimerais faire, au moins la partie française du chemin, par tronçon d'une quinzaine de jours, mais sûr que je ne partirai pas en octobre !!! Il y a beaucoup de découvertes à faire dans le grand Sud-Ouest.
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