La part du fils
"La vérité d'un homme peut être aussi sa souffrance. Mais même si elle était insoluble, insécable, jamais partagée, elle pesait sur moi par contrecoup. Ce poids de mémoire close était devenu le mien. J'en restais meurtri, dépossedé de ma propre histoire. Qu'aurais-je pu faire sinon la remonter, l'éclaircir et la remonter? Écrire comme un travail de deuil. Une effraction et une floraison. Une respiration entre deux apnées".
Ce roman présente des similitudes avec "Le ghetto intérieur" lu récemment. Dans les deux cas, il est question de la génération des petits-fils qui ne parvient pas à vivre avec le silence entourant un grand'père. Le traumatisme remonte à la deuxième guerre mondiale, une famille juive disparue pour l'un, un grand'père résistant mort en déportation pour l'autre.
Les comparaisons s'arrêtent là, chacun vivant à sa manière la quête de mémoire et la parole retrouvée. Paol le grand'père de l'auteur a été arrêté par la Gestapo sur une lettre de dénonciation, en 1943. Emprisonné, déporté, il ne reviendra pas. Son plus jeune fils, Pierre, un enfant à l'époque, va se murer dans le silence et refuser obstinément d'évoquer ces évènements, restés trop douloureux pour lui. Il interdit même à Jean-Luc de fouiller le passé. Nous sommes dans un milieu particulièrement taiseux, celui des militaires de carrière.
Il passe outre, c'est vital pour lui de combler le manque qu'il sent et il n'a d'autre choix que de partir à la recherche d'informations pour reconstituer le parcours de Paol a partir de son arrestation. Son enquête le mènera jusqu'en Allemagne, au camp de Dora.
Nous suivons l'auteur dans ses tâtonnements, il part avec très peu d'éléments. Il est en plus mal à l'aise avec la culpabilité de raviver éventuellement la douleur de son père, Pierre. Entre légères avancées et déceptions, il progresse, se rendant à Compiègne d'où Paol a été déporté en Allemagne, dans les conditions que l'on connaît, épouvantables.
Ce que l'auteur ne parvient pas à savoir, il va l'inventer, l'imaginer, pour redonner chair à Paol. J'ai été sensible à cette recherche, troublée de voir à quel point le traumatisme d'une génération ne disparaît pas, mais continue à être actif chez les descendants.
Par ailleurs, j'avoue que j'ignorais ce qui se passait exactement au camp de Dora, le lien entre le construction des fusées V1 et V2 et la future recherche spatiale aux Etats-Unis. C'est glaçant. On y a utilisé sans vergogne la main-d'oeuvre des déportés, les nombreux morts n'avaient aucune importance puisqu'ils pouvaient être remplacés aussitôt.
L'auteur a alterné le récit du calvaire de Paol avec son passé d'officier colonial en Indochine, pays où il a passé des années marquantes. Il évoque aussi son oncle Ronan, au parcours mystérieux et chaotique. La Bretagne est omniprésente, Brest, la presqu'île de Crozon, la mer, les paysages, le climat.
Un témoignage intime et fort, qui m'a permis de découvrir la plume de l'auteur.
Jean-Luc Coatalem - La part du fils - 272 pages
Editions Stock - 2019