Préférer l'hiver
"Maman et moi vivions ici depuis un peu plus de trois ans quand nous avons reçu le coup de fil. Au milieu des pins, des chênes et des bouleaux, au bout de ce chemin sans issue que deux autres propriétés jalonnent. C'est elle qui m'avait proposé de nous installer ici. Et je n'étais pas contre. J'avais grandi dans cette forêt. Le lieu m'était familier et je savais que nous nous y sentirions en sécurité. Qu'il serait le bon endroit pour vivre à notre mesure".
Deux femmes vivent recluses dans une cabane, au coeur de la forêt, éloignées de tout. La mère et la fille. Elles ont vécu un deuil semblable à quelques années d'intervalle, deuil qui les a poussées à se réfugier là, loin de tout, même si elles vont faire des courses au village quand la nourriture manque. Il fut un temps heureux où le père et le frère étaient là aussi. Puis la vie en ville les a attirés, avec une adaptabilité plus ou moins réussie.
Ils vivaient côte à côte mais vivaient-ils vraiment ensemble ? Le père est parti, le frère aussi, le malheur a déjà frappé la fille (la narratrice), d'où le désir des deux femmes d'aller soigner leurs plaies loin des autres. Leurs journées sont occupées par le jardinage, la coupe du bois, l'entretien de la cabane, l'observation de la nature et des animaux qui la peuplent. Les livres tiennent une grande place dans leur quotidien. Le soir elles ont chacune un livre, le silence les accompagnent. Parfois, la mère lit des passages à sa fille.
Le jour où le téléphone sonnera pour annoncer un nouveau drame, la mère arrachera les fils, les coupant définitivement de l'extérieur.
Ce qui frappe avant tout dans ce roman c'est l'écriture, précise, sans un mot de trop. Elle sait se faire poétique pour décrire la nature. Leur choix de vie radical fait penser bien sûr à "Dans la forêt" et dans une moindre mesure à "Là où chantent les écrevisses".
Peu d'évènements sont racontés, il s'agit surtout des réflexions intérieures de la narratrice, de son ressenti, des ravages du chagrin sur elle et de ce qu'elle voit du même chagrin chez sa mère. Elles vont vers de plus en plus de dénuement, de craintes de manquer de vivres, de peur de ce qui pourrait les attendre ailleurs. Le froid les touche durement.
Si j'ai admiré l'écriture, je n'ai pas très bien compris la relation entre les deux femmes, ni ce qu'elles attendaient l'une de l'autre. Une certaine froideur imprègne le récit et je n'ai guère ressenti d'empathie pour elles. C'est toutefois un premier roman original et fort.
L'avis d'Antigone
(Sortie poche prévue le 13 Janvier)
Aurélie Jeannin - Préférer l'hiver - 240 pages
Editions Harper Collins - 2020