"Fus avait continué à parler doucement : "Crois-moi, les mecs sont aux côtés des ouvriers, il y a vingt ans vous auriez été ensemble. Ils s'en fichent pas mal de ce qui se dit à Paris, eux. C'est notre coin qui les intéresse, ils n'ont pas envie de le laisser crever. Ils se bougent. Ils en ont marre des conneries de l'Europe. Ils reçoivent de la tune de Paris qu'ils redistribuent dans le coin".
L'histoire se déroule dans la région de Metz, survivant tant bien que mal après la désindustrialisation massive. Le père est agent à la SNCF, il vit seul avec ses deux fils depuis la mort de la moman, après une longue maladie. Trois ans d'allers et retours à l'hôpital, ou les garçons ont accompagné leur père, le coeur déchiré.
L'aîné, Frédéric, surnommé Fus, est bon au foot, le père va le voir jouer tous les dimanches. Il en profite pour discuter avec Jacky, l'entraîneur et ami de toujours. Le deuxième Gillou, est plus doué pour les études et le père le pousse à quitter la région pour aller plus loin. Ce sont deux bons petits gars et la vie s'organise tant bien que mal après la disparition de la mère.
Le père travaille dur, il a milité à gauche toute sa vie, aussi a-t'il un choc lorsqu'il se rend compte que Fus fréquente des jeunes d'extrême droite. Au début il a du mal à y croire, il ne comprend pas, mais Fus est un taiseux, reste calme et n'en change pas pour autant ses fréquentations.
On a beaucoup parlé de ce premier roman à la rentrée de septembre 2020 et c'est justifié. Je ne l'ai pas lâché, prise par l'écriture sobre et l'enchaînement des évènements. Nous n'aurons que le point de vue du père, nous ne saurons pas ce qui se passe dans la tête de Fus.
Le père est dépassé par l'évolution de Fus et ni l'un ni l'autre n'ont l'usage des mots. Ils se braquent et en arrivent à ne plus se parler du tout, jusqu'au drame que l'on sent monter inéluctablement. Seuls Gillou et Jérémy, un jeune ami de la famille, ne changent pas d'attitude vis-à-vis de Fus et essaient d'aplanir au maximum la situation. Le père a honte de ce que son fils est devenu, il n'ose plus aller nulle part, il ne veut pas qu'on lui en parle. Pourtant il l'aime son fils, il était fier de lui avant.
Nous ne saurons pas tout de cette histoire, l'auteur laisse le lecteur combler les blancs comme il le veut. Il ne juge aucun personnage, ne psychologise pas. J'ai trouvé très bien rendue cette ambiance d'hommes entre eux, paralysés par leurs émotions et ne pouvant pas les exprimer.
Un premier roman réussi sur l'amour paternel mis à l'épreuve et qui a le mérite de mettre en lumière un milieu dont l'on parle peu.
L'avis d'Alex Ariane Delphine-Olympe Kathel Violette
Laurent Petitmangin - Ce qu'il faut de nuit - 188 pages
La Manufacture de Livres - 2020