Là-bas, août est un mois d'automne
"Quand je lève les yeux, je vois simplement des arbres, là où Gustave et Madeleine voyaient des tilleuls, des aulnes, des acacias, des érables. J'écris sur des gens qui étaient capables de nommer les choses, les fleurs et les bêtes, alors que j'ai besoin d'une application sur mon téléphone qui identifie les oiseaux par leur chant, les plantes par la forme de leurs feuilles, et je dois vérifier sur des sites de jardinage les saisons de semaison du blé et de floraison des cyclamens. C'est peut-être ce qui me fascine chez ces deux-là, leur manière lente et savante d'éprouver l'épaisseur des jours. Et puis les doutes qui subsisteront toujours : je n'ai aucun moyen d'établir avec certitude si le corridor, à leur retour ce soir-là, sentait le clou de girofle, l'humidité où la cire d'abeille, le feu, la viande ou la naphtaline."
Ce roman a été pour moi l'occasion de découvrir le poète Gustave Roud et sa soeur Madeleine. Librement inspiré de leur vie, le récit avance avec tranquillité et lenteur, décrivant les jours qui se suivent dans la grande maison en Suisse.
Le quotidien est bien huilé entre le couple atypique qu'ils forment depuis longtemps. Gustave, lit, réfléchit, essaie d'écrire sans toujours y parvenir, se promène dans la campagne, observe, photographie, surtout les corps des hommes au travail. Madeleine, au sens pratique nettement plus développé s'occupe de la maison, du jardin, veille à ce que son frère soit dans le confort. Pour autant, ce n'est pas une femme effacée, loin s'en faut, elle s'intéresse à la technique spatiale, fume le cigare, se montre parfois moqueuse et mène la vie qu'elle a choisi de mener. Elle n'est pas dupe des faiblesses de son frère et de son attirance pour les hommes, elle sait que le village jase dans son dos, mais n'en a cure.
Ils n'ont jamais voulu se marier ni l'un, ni l'autre et restent fidèles à leurs racines. Ils perpétuent le plus possible un certain style de vie rurale où la nature a toute son importance. La maison est le troisième personnage. Elle vieillit en même temps que ses propriétaires et contient les souvenirs de la famille, parents, grands-parents, tantes ... Sa décrépitude va de pair avec l'avancée en âge du frère et de la soeur.
Si vous avez besoin d'action à toutes les pages, ce livre n'est pas fait pour vous. Par contre, si vous voulez prendre votre temps, lire sur un passé révolu où les choses se faisaient à leur rythme naturel, n'hésitez pas.
"La maison se recroqueville pour tenir le coup. Madeleine a beau ne pas être une petite nature, elle ne s'attarde pas sur la palier de l'étage, espace carré où tourbillonnent les courants d'air. Elle descend à la cuisine et referme la porte derrière elle. Le poêle est encore tiède de la veille ; elle empile des fascines de ramille, craque une allumette et le feu repart. Son frère descend à son tour, il lui dit joyeux anniversaire, soeurette. Elle a sorti le beurre, posé sur la longue table une miche de pain emballée dans un linge de cuisine et préparé du café fort, qu'on boit sans sucre ni lait, et sans plus se parler. La toile cirée est collante sous la main. Ce n'est pas de la saleté, au contraire, le vernis s'est usé à force d'être frotté".
Un roman délicat, qui s'attache à décrire les dix dernières années de Gustave et Madeleine avec pudeur et sensibilité.
Je suis curieuse maintenant de découvrir ce qu'écrivait Gustave. Un début de réponse chez Dominique.
Merci à Lewerentz
Bruno Pellegrino - Là-bas, août est un mois d'automne - 224 pages
Editions Zoé - 2018