"Depuis la mort de Marie-France, je ne peux plus retourner dans les rues de mon passé parce que la perversité me les a arrachées. Comme elle m'avait enlevé Sanary, à jamais. Je suis interdite de passé. Quel chagrin d'être privée des souvenirs de son enfance, et des gens qu'on aimait".
C'est difficile de parler d'un livre qui a déjà fait l'objet d'une avalanche d'articles, pas toujours pour de bonnes raisons. Camille Kouchner y dévoile l'inceste qu'aurait subi son frère jumeau de la part de son beau-père lorsqu'il avait 14 ans. Aucun nom n'est mentionné dans le livre, même si nous savons maintenant de qui il est question par la presse. Son frère ne le confie qu'à elle, en lui demandant de ne rien dire, sa mère ne le supporterait pas.
Bien sûr, il s'agit ici de personnalités publiques, ayant un certain pouvoir, mais que la famille soit connue ou pas, on retrouve les même mécanismes, la même inversion coupable-victime, la même culpabilité des victimes, la même omerta. En plus ce n'est pas la victime elle-même qui prend la parole, mais sa soeur jumelle, seule détentrice du secret et étouffée peu à peu par le silence imposé.
J'essaie de faire un billet depuis deux jours, je tourne autour de l'histoire sans y arriver, c'est trop complexe. En fait, il faut lire l'intégralité du récit pour saisir ce qui a pu favoriser une telle déviance. Un milieu qui revendique haut et fort sa liberté avant tout, qui ne respecte guère les barrières générationnelles, qui élève les enfants comme de petits adultes, capables du même discernement. Je pourrais écrire la même chose que sur "le consentement" l'an dernier.
Au delà du milieu médiatico-politique de Saint-Germain-des-Prés, ce qui est important, c'est le décryptage de l'emprise d'un pervers sur son entourage, surtout lorsqu'il est par ailleurs solaire, intelligent, passionnant. Et le silence de la société autour de l'inceste, pour ne pas dire le déni. C'est implacable et j'admire le courage de l'auteure d'avoir rompu cette chaîne de silence. Je pense que ça devenait vital pour elle.
"Jusqu'à mes 20 ans, l'hydre n'était qu'un serpent. Le reptile a nourri ma sidération. Je n'étais nulle part. L'absence dans la présence. Plus rien ne m'intéressait. Je n'arrivais à faire aucun choix. Je préfèrais simplement ne pas être là. Surtout ne pas exister. M'inscrire à la fac de droit était une facilité. J'essayais d'être la même que les parents pour m'interdire de les critiquer. Comme ça. Des années enchaînées, lentement, sans aucun intérêt".
L'auteure parlait de son livre hier soir dans La Grande Librairie, très bonne émission.
Pour aller plus loin : un débat sur France-Culture, surtout sur la manière dont la presse s'est emparée du sujet.
Toujours sur France Culture, l'interview d'une historienne et d'un avocat qui expliquent pourquoi la justice ne fonctionne pas pour les cas d'inceste.
Camille Kouchner - La familia grande - 208 pages
Editions du Seuil - 2021