Le consentement
"Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j'avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu'elle était mal posée, dés le départ. Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne."
J'ai lu "le consentement" avant l'avalanche de réactions que nous voyons ces jours-ci, donc l'esprit assez libre. Je me souviens parfaitement de l'émission "Apostrophes" où j'avais été écoeurée par les propos de Gabriel Matzneff et admirative devant le courage de Denise Bombardier, seule à mettre ce monsieur devant la réalité de ses actes. Je n'ai plus jamais regardé une émission où cet homme était invité.
Tellement de choses ont été dites sur "le consentement", souvent par des personnes qui ne l'ont pas lu, que je n'ai pas envie d'en ajouter trop. Ce qui m'a le plus intéressée c'est d'abord qu'une victime prenne la parole et donne sa version de l'histoire. Vanessa Springora décrit très bien le phénomène d'emprise qui peut s'exercer sur une adolescente de 14 ans, de la part d'un homme de 50 ans, auréolé du prestige du grand écrivain.
Elle le dit elle-même, tout l'a préparée à ce qu'elle se laisse piéger facilement : un contexte familial défaillant, un père violent et absent, une mère qui travaille dans le milieu de l'édition et se révèle pour le moins complaisante, une forte demande d'affection et d'amour. G.M. (tel qu'elle le désigne dans le livre) l'a repérée de loin.
On reste confondu devant ce qu'il a pu déployer pour la prendre dans ses filets et pour l'y maintenir longtemps après, même lorsqu'elle aura rompu. La culpabilité va la poursuivre a l'idée qu'elle a consenti, qu'elle a même été amoureuse, du moins le pensait-elle. Mais que pèse le consentement d'une jeune fille de 14 ans face à un adulte pervers ? Elle idéalise G.M. et la belle histoire commencera à se fissurer lorsqu'elle s'apercevra qu'il n'est pas celui qu'elle a cru. Le plus sidérant est l'attitude du milieu littéraire, au courant de tout puisque G.M. s'est toujours vanté dans ses livres de ses pratiques sexuelles, mais faisant semblant que la situation est normale.
Après, il y aura les conduites à risque, la chute dans la dépression, les addictions, l'hôpital psychiatrique. G.M. l'a tellement utilisée dans ses livres qu'elle ne sait plus si elle est une personne réelle ou une fiction.
J'ai trouvé ce texte remarquable dans sa retenue, sa subtilité, son intelligence. Au delà de l'histoire personnelle de Vanessa Springera, il décortique les mécanismes à l'oeuvre dans tous les phénomènes d'emprise.
Lorsque l'agitation autour de sa parution se calmera, je pense que ce livre deviendra un texte de référence sur le sujet et sur la prise de parole des femmes.
C'est bien sûr un lecture qui remue, mais qui est nécessaire.
L'avis d'Antigone Argali Cathulu
Vanessa Springera - Le consentement - 216 pages
Editions Grasset - 2020