Les listes d'Elisabeth
"Lire le carnet de listes d'Elisabeth est une façon de faire surgir de la poussière et de l'encre une personne que je n'ai jamais connue. Bien sûr, l'idée que j'ai d'elle a été influencée par les histoires, les photos, les journaux et autres sources évocatrices qui nous servent à créer un collage interne de quelqu'un. Je me retrouve à pleurer le fait que je n'ai aucun souvenir à moi d'elle ni des objets qu'elle mentionne. Je ne peux regarder la liste de ses vêtements et me dire : "Voici le foulard jaune qu'elle a porté à mon mariage", parce que nous ne nous sommes même pas rencontrées."
Lulah Ellender est la petite fille d'Elisabeth. Elle hérite d'un carnet de listes lui ayant appartenu et se lance dans une recherche sur la vie qu'elle a menée et qu'elle a quittée trop tôt. Elle le fait à un moment crucial, où elle apprend que sa propre mère, Helen, est atteinte d'un cancer et condamnée. Elle est partagée entre ses recherches sur le passé d'Elisabeth et le chagrin qui la submerge à l'idée de perdre sa mère.
Cette lecture a un double intérêt, dresser le portrait d'une famille où les femmes sont entièrement dévouées à la carrière de leurs maris, doivent montrer une organisation sans faille (d'où les listes) être disponibles à tout moment et prêtes à répondre à n'importe quelle demande, aussi extravagante soit-elle. Le tout sans aucune reconnaissance officielle bien sûr et à titre bénévole.
Elisabeth était préparée à cette vie, puisqu'elle était déjà fille de diplomate, elle a vu sa mère remplir ce rôle sans jamais faillir. Quand elle tombe amoureuse d'un employé de l'ambassade britannique, elle sait ce qui l'attend.
Mais l'aspect qui m'a vraiment passionnée, c'est celui de femme d'ambassadeur. Elisabeth voyageait beaucoup, la Chine dans sa jeunesse, puis Paris, Londres, Madrid pendant la deuxième guerre mondiale, Beyrouth, Rio. On se rend compte à quel point elle devait être solide pour déménager du jour au lendemain avec mobilier et domesticité et s'acclimater plus ou moins vite. Elle était véritablement la cheville ouvrière qui permettait que tout se déroule bien.
Dans sa vie de femme, Elisabeth a dû faire face à une épreuve récurrente, une sévère dépression post-partum à ses deux premières grossesses, la laissant des mois entiers sans forces et dans l'incompréhension de ce qui lui arrivait. Son mari la soutenait autant qu'il pouvait, mais il était souvent ailleurs pour son travail, tourmenté à l'idée de ne pas être auprès d'elle.
Luhah essaie de reconstituer la vie de sa grand mère à l'aide des fameuses listes (reproduites dans le livre) d'un journal de bord, de photos et des souvenirs de sa mère Helen, souvenirs peu nombreux puisqu'hélas, elle n'était encore qu'une enfant quand Elisabeth est morte.
C'est un livre émouvant, mettant en lumière une belle transmission entre femmes et une époque dans un milieu particulier, celui de la diplomatie. Elisabeth était quelqu'un d'assez aventurier au fond et elle aimait être transportée du jour au lendemain dans un pays étranger, y compris dans des périodes agitées et troublées.
Une bonne découverte.
Les listes d'Elisabeth - Lulah Ellender - 384 pages
Traduit de l'anglais par Caroline Bouet
Les Escales - 2019