Une immense sensation de calme
"Un soir, Baba m'avait parlé de l'ancien monde. D'habitude ceux qui l'avaient connu se taisaient. La guerre avait laissé tellement de cicatrices qu'ils faisaient comme si rien n'était arrivé. Comme si personne n'avait jamais disparu. Pourtant, au détour des forêts, on tombait encore sur des carcasses de tanks que le Comité avait oublié de déblayer. Les cours d'histoire ne remontaient pas au-delà de cinquante ans. Avant, ce n'était que légende. Notre génération était la première née après le Grand-Oubli. Nous supposions que beaucoup de réponses aux mystères du monde se terraient là".
Il fut un temps où la narratrice (jamais nommée) vivait avec Baba, survivante des temps anciens, avant le Grand-Oubli. Puis Baba a rejoint les terres du Grand Sommeil et la jeune fille est partie sur les routes, à la découverte du monde, plus loin.
Elle se retrouve chez les Illiakov pour l'hiver. Elle va pêcher dans les eaux du lac avec Pavel et Dimitri, bravant le froid, la neige et la glace. A la fin de l'hiver arrive Igor, l'homme de sa vie, une évidence à la seconde où elle l'a vu.
Elle le suit dans une vie rude et difficile, mais illuminée de sa force et de sa présence. Igor est un être curieux, à l'histoire sombre que la jeune femme va peu à peu pénétrer. Grisha, une vieille femme va les aider, sorcière rejetée aux marges du monde par les villageois rancuniers.
Vous vous demandez quelle histoire je vous raconte ? C'est une fable, un conte des temps anciens, évoquant une vie pauvre et ordinaire, bouleversée par une guerre épouvantable que les survivants ont choisi d'oublier. Des créatures étranges aux yeux blancs rappellent les ravages de cette période. On les appelle "les invisibles", on les empêche de revenir au village.
C'est une histoire où le monde animal et humain n'a pas de frontière nette, pas plus que celui des vivants et des esprits. La narratrice a la sensibilité voulue pour capter ce que les autres ne sentent pas. Elle connaît une vie d'errance en compagnie d'Igor, entre forêts, montagnes et landes. C'est bien ainsi. Elle est à sa place.
Elle honore chaque année la mémoire de Baba en respectant le même rituel et en s'adressant aux ancêtres.
C'est un premier roman envoûtant, qui se lit d'une traite, dans une langue magnifique.
"La douceur de Pavel paraissait nourrie au souvenir des temps anciens. De ceux où les ancêtres n'avaient pas de carabines et se déplaçaient avec leurs troupeaux de campement en campement. Lorsqu'il fallait tuer un animal, les femmes le faisaient boire et manger pour qu'il ne manque de rien lors du Passage. On choisissait le meilleur guerrier pour égorger la bête, et l'homme lui demandait pardon. Il orientait le couteau vers le ciel pour ouvrir le chemin à son âme. Ensuite il faisait ce qu'il avait à faire".
L'avis de Brize Le Petit Carré Jaune Zazy
Laurine Roux - Une immense sensation de calme - 119 pages
Editions du Sonneur - 2018