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16 mars 2017

Tenir

Douleur chronique et réinvention de soi

03

"Tout humain normalement constitué sait qu'une vie sans douleur est impensable mais, de là à ce qu'elle soit chronique, il y a une marge que David Le Breton explore magistralement.
L'examen des itinéraires personnels de "douloureux chroniques" auquel se livre l'auteur montre que, si elle abîme profondément l'existence de nombre de patients, d'autres trouvent au fil du temps un soulagement ou un compromis, mais paradoxalement elle protège certains patients d'autres souffrances plus redoutables encore.
Il est temps, dit David Lebreton, que l'on développe davantage une médecine de la douleur centrée sur l'expérience intime des personnes afin de les aider, sinon à guérir, à accomplir une "réinvention de soi", autrement dit une réorganisation radicale de leur existence avec et autour de cette douleur chronique à tous les niveaux de leur quotidien, autrement dit à "tenir". (4e de couverture)

Pour une fois, j'ai repris la quatrième de couverture parce que je la trouve bien faite et résumant parfaitement cet ouvrage. L'auteur a déjà écrit deux livres sur le thème de la douleur. Il faut être concerné de près par le sujet pour se lancer dans cette lecture là et c'est mon cas.

J'y ai trouvé un panomara complet et très juste de tout ce à quoi on peut se heurter lorsque l'on est un "douloureux chronique". Mon livre est hérissé de post-it, tant de passages m'ont parlé directement. L'inadaptation du corps médical à ce type de problème, le manque d'écoute et de compréhension, l'incrédulité de l'entourage puisque "rien ne se voit".

L'abondance des témoignages rend la lecture aisée et illustre les difficultés rencontrées. Tous les domaines sont abordés, que ce soit la vie privée ou professionnelle, le regard que la société porte sur les personnes fragilisées, l'estime de soi que l'on perd. "La douleur aiguë démantèle provisoirement l'individu qui se reprend ensuite une fois sa peine soulagée, mais pour le douloureux chronique elle dure et poursuit son travail de sape au long des heures, des jours, des mois, des années, et elle entame au fil du temps le sentiment de son identité. Elle crée une zone de turbulence dans son corps par où il a le sentiment que son être le fuit".

Le sujet douloureux va connaître un vrai parcours du combattant pour essayer de se soigner, jusqu'à renoncer pour certains à en parler "Des messages soupçonneux, des questions insidieuses, comme si nous étions nous-mêmes responsables de ce qui nous arrive, comme si nous prenions plaisir à souffrir, ou même que nous y avions intérêt. Nous ne sommes pas pris au sérieux. Cela fait toujours très mal". Sans compter les traitements qui aggravent parfois la situation.

Chacun se débrouille comme il peut avec la douleur chronique ; pour certains l'auteur évoque une raison d'être. Elle peut masquer des souffrances inaudibles plus profondes et inabordables. La médecine s'attachant en général uniquement à des causes biologiques, n'est pas très armée pour comprendre la complexité des patients douloureux chroniques. La douleur n'est pas dissociable de la personne dans tous ses aspects et dans son milieu.

Je n'ai pas abordé cette lecture d'une manière neutre, je suis trop concernée, je ne sais pas comment cette enquête passionnante peut être reçue par des lecteurs plus éloignés du sujet. Pour ceux qui s'intéressent au problème, de près ou de loin, je ne peux que le conseiller fortement. Je n'y ai pas trouvé de révélation, mais c'est un ouvrage réconfortant par ses connaissances, la finesse d'analyse et le respect de l'auteur. Il peut aussi aider à changer de regard sur la question et faire avancer les choses.

"Il importe de soigner l'individu en souffrance et non un corps ou une fonction malade, non une culture ou un organisme. En tenant compte de la position personnelle du patient, un principe de bienveillance s'attache à l'établissement des soins les meilleurs pour le soulagement et le confort. Si la douleur est un évènement neurologique, il est simultanément un évènement psychologique, et au delà encore anthropologique. Penser en opposition, selon une logique du "ou bien ou bien", n'a aucun sens pour appréhender l'acuité d'une douleur, un pas de côté s'impose qui exige la logique du "et, et, et, et, et .."

David Le Breton est professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg, membre de l'Institut universitaire de France et de l'Institut des études avancées de l'Université de Strasbourg (Usias).

Pour aller plus loin : L'auteur a été invité à l'excellente émission "La tête au carré"

Merci aux Editions Métailié

David Le Breton - Tenir - 256 pages
Editions Métailié - 2017                                   

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Commentaires
L
Concerné aussi malheureusement, et c'est très juste ça ; l'entourage ne comprend pas toujours parce que "rien ne se voit", c'est tout à fait ça effectivement. Quand au milieu médical, quand on l'a beaucoup fréquenté, on est grandement refroidi, on est traité comme un numéro, l'humanité zéro ou presque, et quand on a tendance à faire des allergies comme moi, on a droit carrément à l'agressivité, c'est quelque chose qu'ils n'aiment pas du tout... Pour mon père aussi nous avons vécu des moments mémorables, enfin bref, sans commentaire...<br /> <br /> Je te souhaite beaucoup de courage et t'embrasse (et bien sûr je note le titre précieusement, un peu de réconfort ça peut pas faire de mal)
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A
On sent que cette lecture t'a touché.
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D
juste pour info j'avais fait il y a déjà plusieurs années un billet sur la douleur à partir du livre de Daudet et de Claire Marin une jeune femme atteinte de polyarthrite je te mets le lien directement <br /> <br /> http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2009/04/18/douleur-quand-tu-nous-tiens.html<br /> <br /> j'ai commandé le bouquin illico presto
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P
Bon puisque Canal blog me censure :-) je ne retape pas tout mon commentaire...<br /> <br /> Il s'agit de Je pense trop - Comment canaliser ce mental envahissant de Christel Petitcolin.
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D
tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse de pouvoir vite vite lire ce livre, en fait si je sais que toi aussi tu imagines très bien<br /> <br /> Des livres indispensables à lire pour soi, pour son entourage, à faire lire aux soignants juste pour éviter les questions idiotes du genre : mais vous n'avez pas essayé de ....non j'ai juste épuisé la panoplie complète de spécialiste, de traitement, de petites et grosses aiguilles <br /> <br /> Hier je suis allée vendre des livres d'occasion chez Gibert, le dépôt avait changé de place, il était au sous sol : ma canne + mon caddy+ deux cartons de 20 kg en tout et le vendeur de me répondre : un ascenseur ? non ce n'est pas obligatoire pour le moment !!!!!!!!! <br /> <br /> la prise en charge de certains patients, le regard sur le handicap, tout ça ne change pas de présidentielle en présidentielle , bon allez je vais prendre ma canne et partir à la bibli à condition que l'ascenseur ne soit pas en panne :-)
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