Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le goût des livres
Derniers commentaires
Archives
9 octobre 2015

Un devin m'a dit

Un devin m'a dit"En 1975, à Hong Kong, Tiziano Terziani rencontre un devin qui le met en garde : "Ne prends surtout pas l'avion en 1993 !". Seize années plus tard, le 31 décembre 1992, il décide de respecter la prophétie.
Pendant un an, il voyage en train, en bateau, en bus ou à dos d'éléphant et redécouvre une Asie que le voyageur pressé ne connaît plus. Cette année sans prendre les airs est le prétexte pour brosser l'un des tableaux les plus riches et les plus vivants jamais peints de l'Asie, de sa culture propre, de sa spiritualité et de ses peuples." (extrait 4e de couverture)

Sans conteste, cette lecture est une des plus passionnantes faite ces derniers mois. L'auteur, journaliste italien et grand voyageur, s'étant frotté à toutes sortes d'aventures et de terrains de guerre, décide de ne plus prendre l'avion pendant un an sur la foi d'une prophétie. Bien sûr, il n'y croit pas vraiment, mais se pique au jeu, fatigué de passer d'un aéroport à l'autre et de ne plus avoir le temps de se poser vraiment nulle part.

Il commence par nous expliquer comment il a pu s'arranger avec son employeur pour continuer à travailler avec une telle contrainte. L'auteur se donne pour mission de rencontrer un devin dans chaque ville et pays visités. C'est l'occasion d'un vaste panorama des croyances implantées en Asie et de leur influence sur la population. L'auteur repère rapidement que les prédictions sont en lien direct avec la société où vit le devin. Par exemple l'argent est omniprésent dès qu'il s'agit des Chinois. Il a plus affaire à des personnes ayant un sens de l'observation développé  et un bon sens tout court, qu'à de vraies révélations. Quoique, certaines rencontres l'ont beaucoup troublé, mais toujours il essaie de rationnaliser.

Si j'ai trouvé énormément d'intérêt à cette partie de la quête, j'en ai eu encore plus à la description des réalités sociales, politiques, géographiques, historiques des pays visités. L'auteur avait déjà eu l'occasion de séjourner dans ces lieux auparavant et il ne peut que constater l'ampleur des dégâts. Les cultures traditionnelles ont disparu ou sont en voie de disparition sous le rouleau compresseur de la modernité et de l'argent roi. Ce qu'il aimait tant, la diversité des traditions, l'art de vivre, la douceur et la gentillesse des populations, se délite, il en voit les dernières traces. Et que dire de la table rase de quartiers entiers, à la richesse architecturale certaine, remplacés par des gratte-ciels sans âme.

Les changements sont saisissants, je me suis demandée plus d'une fois ce que l'auteur penserait aujourd'hui (le livre a été publié en 1995). S'il décrit très bien ce qu'il voit et ce qu'il fait au cours de cette année, l'auteur témoigne également d'une grande chaleur humaine dans ses rencontres. Que ce soit de vieux amis ou des interlocuteurs passagers, il est toujours à l'écoute et prêt à comprendre. Il y parle également de sa vie personnelle sans que ce soit impudique ou envahissant.

Il y a tellement d'aspects captivants dans ce récit que je ne peux guère vous le résumer, je préfère vous donner à lire quelques extraits. J'ajoute que j'ai été particulièrement touchée par son retour au Cambodge et la manière dont il parle de ce que le peuple a subi (il était présent lorsque les Kmers rouges ont pénétré dans Phnom Penh).

"J'avais l'impression que "la communauté internationale" - cet étrange, indéfinissable ramassis de gens de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les langues, qui n'avaient en commun que leur intérêt à gagner en un jour, comme indemnité de déplacement, ce qu'un Cambodgien moyen gagne en une année, cent cinquante dollars américains - voulait rester au Cambodge au prix de tout compromis".

"Assis à la poupe, je me demandais comment et combien de temps pouvait résister un monde exclusivement régi par les critères aveugles, inhumains et immoraux de l'économie. En regardant passer l'ombre d'îles lointaines, j'en imaginais une habitée par une tribu de poètes vivant à l'écart, dans l'attente du moment où, après le Moyen-Age du matérialisme, l'humanité aura de nouveau besoin de valeurs pour exister".

"J'ai vaincu mon arrogance et je suis resté. Les premiers jours ont été affreux. A peine assis, la position du lotus me semblait très confortable, mais au bout d'un quart d'heure elle devenait intenable ; au bout d'une demi-heure, c'était une torture : des épingles s'enfonçaient dans mes genoux, mon dos n'était qu'une crampe, et l'envie de bouger devenait irrépressible. Je n'ai pas réussi à "méditer" ne fût-ce qu'une seconde. Au lieu d'être là où mon souffle touchait ma peau mon esprit était "un singe qui saute d'une branche à l'autre", comme nous avait prévenus John et je n'arrivais pas à en faire "un buffle fort et solide, auquel passer une corde au cou pour l'attacher à un piquet".

"Il s'est arrêté, comme s'il cherchait ses mots pour dire quelque chose qu'il avait dans la tête depuis longtemps, mais difficile à exprimer : "J'assiste aujourd'hui à un phénomène étrange : les gens d'ici évoluent de plus en plus vers ma civilisation et moi, j'évolue de plus en plus vers la leur. C'est devenu pour moi un véritable problème de conscience. Je suis un prêtre, je suis venu ici pour leur apporter ma foi, mais d'une certaine façon, je m'intéresse de plus en plus à leur foi, je suis fasciné par leur monde, le monde véritable, qui repose sous l'apparence de l'islam, du boudhisme et même de mon christianisme".

Une lecture foisonnante dans laquelle j'ai progressé lentement, soucieuse de ne pas en perdre une miette ..

Je vais commencer maintenant "Un autre tour de manège" sur la recherche de la médecine la plus efficace lorsque l'auteur a appris qu'il était malade. Il est décédé en 2004.

L'avis de Zazymut

Un billet détaillé de la librairie les Cinq Continents sur le parcours de Tiziano Terzani.

Merci à Dialogues Croisés

Dialogues croisés            Challenge Eimelle

Tiziano Terzani - Un devin m'a dit - 458 pages
Traduit de l'italien par Isabel Violante
Editions Intervalles - 2015

Publicité
Commentaires
Y
Ton billet sur ce livre m'avait échappé, preuve que je ne suis pas toujours très attentif lorsque je visite les blogs... Je viens donc de finir Lettres contre la guerre de T. Terzani, un livre qui se lit aussi lentement pour ne pas en perdre une miette et pour prolonger la réflexion qu'il inspire. Je vais moi aussi me mettre à la recherche des autres livres de l'auteur rapidement...
Répondre
C
J'ai l'impression, au vu de votre compte-rendu prolongé, de son ton, que cette lecture-ci vous a vraiment comblée, contrairement à quelques autres auparavant qui semblaient plus modérément accueillies par vous. Finalement il n'y a pas tant de livres dont nous avons envie de réellement faire un billet généreux, reconnaissant. Parfois on a apprécié, sans plus.<br /> <br /> Vous nous parlerez bientôt j'espère de ce que Terzani a trouvé parmi les multiples médecines efficaces (j'ai un avis plutôt tranché sur la question là-dessus, et, pour moi, l'intérêt de bien des conseils "parallèles" réside plus dans leur aspect ethnologique ou sociologique que dans une vraie utilité médicale).
Répondre
L
Et bien quel enthousiasme :0) Tu en parles avec tant de punch que c'est impossible de ne pas être piqué par la curiosité...
Répondre
S
Je me souviens précisément du billet de Zazy, je te trouve encore plus enthousiaste, donc tu auras eu raison d'attendre et de prendre le temps de le lire, car visiblement c'est une lecture qui se mérite et se savoure. Comme toi, j'aime le principe du départ, même si le narrateur n'y croit pas vraiment. On a besoin en ce moment d'ouverture sur la culture des autres, et de gens prêts à s'immerger.<br /> <br /> Drôlement bien ton billet.
Répondre
P
Quel formidable défi s'est lancé cet homme, je suis certaine qu'il en a gagné une belle humanité. Je vais essayé d'en savoir plus sur lui et sa vie, et je note bien-sûr ce livre, merci Aifelle, doux week end. brigitte
Répondre
Le goût des livres
Publicité
Le goût des livres
Newsletter
Publicité