Un été à Key West
"Ce n'était de la faute de personne si Ellen avait hérité de la volonté de Wilkie et de sa tendance à vouloir tout contrôler - des qualités tellement moins charmantes chez une femme - ou si Billy avait hérité de la fragilité physique de Jenny et de sa sensibilité aux opinions des autres - des qualités tellement moins charmantes chez un homme ! Dans ses moments les plus sombres, Wilkie se représentait parfois Hellen comme une féministe entêtée et exubérante, et Billy comme un pauvre type efféminé nul en informatique."
J'étais curieuse de voir ce que j'allais penser de ce roman, lu une première fois il y a une bonne vingtaine d'années. Et bien j'ai passé un excellent moment, aucune déception, j'ai retrouvé l'auteure dont j'ai aimé toutes les fictions. J'avais oublié l'intrigue, j'ai donc découvert à nouveau le couple Wilkie-Jenny. Lui, naturaliste célèbre, auteurs d'ouvrages reconnus, conférencier respecté. Elle, épouse dévouée, multi-tâches et heureuse de l'être pour le plus grand confort du grand homme.
Wilkie est en fin de carrière mais écrit toujours, leurs deux grands enfants ont quitté le foyer depuis un bon moment, le couple se retrouve en tête-en-tête. Seulement voilà, depuis quelque temps, Wilkie n'est plus lui-même, son caractère s'assombrit, il a l'air préoccupé, Jenny se sent vaguement coupable, sans savoir de quoi. En fait, Wilkie se croit atteint d'une maladie incurable, à l'issue fatale. Incapable d'en parler à son épouse, il s'enfonce dans le mutisme et rumine un plan plutôt tordu.
En désespoir de cause, Jenny propose à Wilkie de quitter la Nouvelle-Angleterre en plein hiver, pour Key West, en Floride, espérant que le soleil et la douceur du climat lui fera retrouver la joie de vivre. Wilkie accepte à contre-coeur, malgré son peu de goût pour cette île à touristes. Une fois sur place, son humeur va continuer à s'assombrir ; par contre Jenny elle, va y trouver un épanouissement inattendu.
Elle va se faire des amis sur place, notamment Lee une femme qui tient un hôtel. Toute une petite communauté gravite autour d'elle. Plusieurs voix s'expriment dans le roman, dont Jacko, un homosexuel qui découvre sa séropositivité. C'est l'époque où la maladie garde son mystère, il n'y a aucun traitement, trop de jeunes hommes meurent. Lee est féministe et revendique haut et fort son indépendance, essayant de secouer Jenny et de la sortir de sa dépendance à son mari.
L'histoire tourne autour du vieillissement et du sentiment d'inutilité, de la maladie, de la difficile place des femmes, de l'appauvrissement de la faune et de la nature. Le ton est assez sarcastique, souvent réjouissant sur les personnages, dont beaucoup sont attachants .. et d'autres détestables, tel Wilkie.
En bref, une très bonne relecture. Il n'est pas impossible que je continue à lire Alison Lurie, ma bibliothèque est bien fournie.
"Suppose que ç'ait été sérieux, songea Lee. Suppose que Wilkie Walker soit réellement malade, suppose qu'il aille de plus en plus mal et qu'il meure. Cela ne serait pas une grosse perte, car à quoi servait-il finalement ? Tout ce qu'il avait jamais fait était d'écrire des articles pompeux, donner des avis pernicieux et rendre la femme qu'elle aimait profondément malheureuse".
Lecture commune avec Alex Choupynette Dasola Hélène Kathel Luocine Ptit Lapin Sandrion Sibylline
Alison Lurie - Un été à Key West - 369 pages
Traduit par Céline Schwaller-Balay
Rivages Poche - 2000