Forêt noire
"Un homme qui aimait se parfumer à l'essence de figuier avait un jour écrit que le plus beau jour de sa vie était peut-être passé. La notion du plus beau jour était pour la femme de bientôt quarante sept ans un grand mystère. Cette réussite mémorable et exceptionnelle confinant au chef d'oeuvre et qui était censée se dérouler dans la grâce du matin au soir pour illuminer par la suite des périodes plus maussades, est-ce que cela arrivait réellement ?"
Ce petit roman est totalement inclassable. Si vous avez lu "L'agrume" et "Eau sauvage" vous retrouverez avec plaisir l'écriture fine et précise de Valérie Mréjen. Ici, des textes parfois très courts parlent presque tous de la mort. Sans lien apparent, ils évoquent souvent des morts violentes, suicides, accidents, crimes .. C'est le genre d'histoires que l'on se chuchote entre voisines, entre collègues, entre amies, sans leur donner trop de réalité, en les tenant à distance.
Le ras-le-bol montre le bout de son nez devant ces énumérations morbides, c'est le moment où l'on glisse vers un texte en apparence plus anodin, des petites considérations sur les phrases toutes faites prononcées sans y prendre garde et l'on continue, comme aimantée par ce savoir-raconter et cette proximité. Même si la narration paraît décousue, un fil rouge semble tenir l'ensemble et lui donner une unité.
C'est le genre de texte qui passe ou qui casse. A vous de voir s'il peut vous convenir.
"Et si cette autre femme, une connaissance de lointaines connaissances dont le degré de relations se perd dans le bouche-à-oreille et où personne ne sait plus très bien qui l'a vraiment connue, si seulement cette femme n'avait pas ri de si bon coeur en écoutant une anecdotique comique racontée par un invité au cours d'une choucroute party. Si elle ne s'était pas renversée en arrière, dilatant ainsi le larynx que peut obstruer, à cause de l'appel d'air, un morceau d'aliment."
Merci Cathulu
Valérie Mréjen - Forêt noire - 124 pages
P.O.L. - 2012