Et la fureur ne s'est pas encore tue
"Bruno Brumhart a cinquante ans. L'heure des bilans. Sa vie ressemble à un long cauchemar : les ghettos, la déportation, les camps, l'errance. Et puis le temps précieux de la halte, dans un château près de Naples, avec les autres déportés. Lieu des désespoirs, des rages mais aussi de rires et d'humanité. Etre ensemble pour retrouver l'envie d'exister. Et après ? Même seul, il faudra continuer" (présentation de l'éditeur).
Aharon Appelfeld aborde ici une nouvelle fois ses thèmes récurrents, l'enfance, la montée du fascisme et de l'antisémitisme, la déportation, les camps, l'errance en forêt et la difficile renaissance. Il le fait avec son talent habituel et j'ai été captivée par l'atmosphère, mi-réaliste, mi-symbolique du roman.
Bruno, fils unique, est élevé par des parents communistes purs et durs, dans un pays qui pourrait être la Roumanie. Il a été amputé tout jeune de la main droite, sans savoir du tout dans quelles circonstances cet accident est survenu. De ce handicap il fera une force lorsqu'il se rendra compte que son moignon lui parle. C'est lui qui lui permettra de converser avec ses parents lorsqu'il sera séparé d'eux, travaillant à construire les fours crématoires.
Ses parents ont rejeté tout ce qui a trait à la religion et c'est par un moine orthodoxe qu'il entendra qu'il ne faut pas qu'il oublie que "les enfants d'Israël sont des princes". Plus qu'un récit hyper réaliste, c'est plutôt le cheminement d'un homme, profondément marqué par les évènements du siècle. Libéré des camps, Bruno errera quelques mois dans la forêt avec deux compagnons, puis il arrivera à Naples, au bord de la mer, immensité dont la vue le réconforte. A travers son moignon, il continue à dialoguer avec ses parents disparus et ses amis. Très doué dans tous les trafics d'après-guerre, il utilisera son argent pour acheter un château et recevoir là tous les rescapés avides de retrouver une dignité.
L'histoire individuelle de Bruno se fond dans l'histoire collective. L'écriture d'Aharon Appeldfeld est toujours sobre et creuse au plus profond de l'âme humaine, laissant le lecteur face à des questions essentielles.
"Je m'attablai à un café. A quelques mètres de moi un vieil homme était assis. Le regard doux, il observait les passants d'un oeil pétillant. Je n'avais pas vu un vieillard aussi vif depuis longtemps. Je crus distinguer une ressemblance avec mon grand-père et ne l'en aimai que plus. Je n'ai jamais vu mon grand-père. C'était un Juif pieux que mon père m'interdisait de voir, de crainte qu'il m'enseigne ses préceptes. Nous avions toutefois projeté de lui rendre visite à quelques reprises. Juste avant la guerre nous avions entamé ce voyage, mais les routes étaient déjà bloquées. Parfois je me souviens de lui, ou j'imagine que je le vois dans un café, dans une rue".
Si ce n'est déjà fait, un auteur à découvrir absolument.
Aharon Appelfeld - Et la fureur ne s'est pas encore tue - 271 pages
Collection Points - 2010