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Le goût des livres
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3 octobre 2017

Sophia Pétrovna

sophiapetrovna"La porte du procureur était encore loin. Sonia Pétrovna fit un calcul : une quarantaine de personnes. On entrait deux par deux, car dans le bureau numéro 7, il y avait non un, mais deux procureurs qui recevaient en même temps, et pourtant la queue avançait quand même lentement. Elle examinait les visages : elle avait l'impression d'avoir déjà vu la plupart de ces femmes, rue Chpalernaïa ou rue Tchaïkovski, ou encore ici même, au Parquet, devant le guichet. C'étaient peut-être les mêmes, ou c'en était peut-être d'autres. Toutes les femmes qui faisaient la queue devant les prisons avaient quelque chose d'identique sur leurs visages ; de la lassitude, de la résignation, et même une certaine dissimulation. Beaucoup tenaient à la main un papier blanc. Sophia Pétrovna savait déjà que c'étaient "les feuilles de route" qui les envoyait en relégation. Trois questions revenaient sans arrêt dans cette queue : "On vous envoie où ?" "Vous partez quand ?" et "On vous a confisqué vos biens ?".

Je n'ai pas lu de roman russe depuis longtemps et c'est avec plaisir que j'ai découvert ce texte qui a été édité une première fois en français en 1975 sous le titre "La Maison déserte". Il est sans doute en partie autobiographique et se déroule à l'époque stalinienne.

Sophie Pétrovna est veuve depuis peu d'un médecin respecté. Elle cherche du travail et est embauchée comme dactylo dans une maison d'édition. Elle élève son fils Kolia et surveille ses études de près. Elle se sent bien immédiatement dans le monde du travail, exécute scrupuleusement ce qu'on lui demande et monte rapidement en grade, jusqu'à être responsable de toutes les dactylos.

Elle se lie d'amitié avec une des jeunes femmes, Natacha, et l'invite fréquemment chez elle. Elle ne s'intéresse pas du tout à la politique, moins que Kolia qui est enthousiaste à l'idée de servir un pays  neuf qui a l'avenir devant lui.

Soviétique convaincue, elle commence à voir autour d'elle les arrestations de personnes qu'elle estimait, mais elle ne doute pas qu'elles ont dû faire des erreurs ou des faux-pas. Kolia a grandi, il a obtenu son diplôme d'ingénieur et il est parti travailler dans une ville lointaine.

Il faudra son arrestation à lui pour qu'elle commence à ouvrir les yeux et encore .. Elle croira longtemps à un malentendu, malgré l'ampleur des personnes concernées. Tous les autres sont coupables, mais pas Kolia.

Le début du roman est assez paisible. La vie quotidienne de Sophia, son travail, ses petits plaisirs, sa fierté devant la réussite de Kolia, l'avenir radieux qu'elle entrevoit, c'est l'existence d'une famille ordinaire sous le régime de Staline.

Tout se dérègle à partir de l'arrestation de Kolia et l'envers du décor se révèle à elle dans toute sa cruauté. Les files d'attente, les hommes que l'on espère voir en prison, mais qui sont déjà déportés ou morts, les familles envoyées en rélégation sans aucun moyen pour vivre.

L'histoire est racontée du point de vue des familles qui attendent, nous n'entendons pas la voix des "traîtres" et c'est complètement poignant.

L'écriture est élégante et classique et il est toujours bon de se rappeler des grandes ignominies de l'histoire. Sans étonnement, le texte a mis du temps à être publié en Russie. Il est paru d'abord en langue russe, en France, en 1965.

Une réédition bienvenue.

Merci Kathel

Objectif PAL 3

Lydia Tchoukovskaïa - Sophia Pétrovna - 133 pages
Traduit du russe par Sophie Benech
Editions Interférences - 2007

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Commentaires
A
A une époque je lisais beaucoup de romans russes, celui-ci a l'air très bien effectivement... ;)
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T
Tentée - ton billet donne envie de lire ce roman russe d'il y a déjà plus de cinquante ans.
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D
j'aime beaucoup cet éditeur et ce petit roman est superbe, il fait penser au roman de Grossman : Tout passe
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M
Ah je viens justement de voir chez Anne un roman "de l'Est"... tout en me disant que vraiment, j'ai des lacunes en ce qui concerne cette littérature !
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P
C'est bien de se souvenir de cette époque et c'est certainement une lecture intéressante, n'est-elle pas trop dure ? Merci Aifelle, belle soirée. brigitte
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