UN DIAMANT BRUT

Orpheline, confiée à l'Assistance Publique de l'Yonne, Yvette a un destin tout tracé de fille de ferme plus ou moins maltraitée au gré des familles qui l'accueillent. Elle avance dans la vie "comme un chien aveugle suivant une piste, de relent en relent, au coeur de la pestilence du clapier, des remugles de la bauge, des senteurs du fumier", jusqu'à ce beau jour où elle est remarquée par un couple de parisiens qui, séduits, décident de l'adopter. Les Zervos, éditeurs des Cahiers d'art, plus riches en amis artistes et poètes qu'en or, font entrer dans leur ronde fascinante et bohème ce jeune "diamant brut" qui ne rate pas une seconde des leçons de son ami Pablo Picasso, des belles histoires de Braque ou de celles, plus subtiles, de Paul Eluard caché avec Nusch dans le grenier des Zervos. Puis, il y aura, plus tard et moins aimé, l'encombrant René Char. Bref, tout ce monde des arts, de la poésie, des engagements et des mensonges nécessaires qui animent la vie de ces années troubles. (4e de couverture).

J'ai hésité à parler de ce livre, peut-être parce qu'il m'a laissé des impressions contrastées et très fortes. Je l'ai pris comme un coup de poing. Je n'ai jamais lu un témoignage aussi cru sur la terrible réalité des orphelins de l'Assistance Publique, placés de ferme en ferme, arrachés à un lieu du jour au lendemain au gré du bon vouloir de l'administration, maltraités ou ignorés. La description de la cruauté du monde des adultes est sans concession. C'est aussi le reflet très juste je pense, d'un certain milieu paysan de cette époque-là. Heureusement, sa route croise aussi celle de braves gens, ce qui lui a probablement permis de ne pas sombrer complètement dans le désespoir.

J'ai cru naïvement que le récit allait devenir plus léger dans la seconde partie, lorsque Yvette va habiter chez les galiéristes parisiens . Je me suis trompée, Yvette passe seulement  d'une forme de maltraitance à une autre, plus insidieuse, plus perverse. La description du milieu artistique juste avant et pendant la guerre, laisse un goût amer. Seul Picasso s'en sort honorablement. Ce qu'Yvette relate de son "adoption" par le couple Zervos est incroyable et profondément révoltant.

Je ne voudrais pas donner l'impression que cette histoire est uniquement une succession de malheurs, c'est avant tout un texte littéraire de grande qualité, fantasque, baroque, avec des fulgurances. Yvette a une vie intérieure riche, une intelligence et des ressources profondes qui lui permettent de se construire malgré tout. Elle fait preuve d'une grande lucidité sur ce qu'elle traverse. Elle a un courage, un aplomb et une audace qui lui donneront les clefs de sa liberté.

C'est une lecture souvent déchirante, émouvante, bousculante, mais aussi un hymne à la vie.

Extrait : je compris fort bien ce que Gustave et Phrasie Guerrault attendaient de moi et quelle place ils m'offraient dans l'existence mais comment me débarrasser de ma peau desséchée, meurtrie ? Comment me transformer en pinson ? Comment me laisser aller à la candeur de deux vieilles gens orphelins de leurs enfants qui n'avaient plus où placer leur amour parental et se berçaient de rêves ? Il était trop tard. J'eus l'impression qu'ils ne connaissaient rien à la vie, que je savais mieux qu'eux les coups infâmes qu'elle vous réserve. Mais aussi, comment ne pas dévoiler ma vulnérabilité devant leur gentillesse qui m'amollissait, me désarmait ? Mon orgueil me disait de puiser ma force en moi seulement.

L'auteur : Yvette Szczupak-Thomas est née en 1929 en Bougogne. Artiste peintre, elle est morte à Jérusalem en 2003.

L'éditeur a consacré un blog à ce livre, avec des informations complémentaires, des documents, des photos. C'est ici.

Yvette Szczupak-Thomas - Un diamant brut - Editions Métailié - 2008

Comments

[Aifelle]

@ Bonjour Lesselbaum : je vous envoie un mail.

[lesselbaum]

J'ai lu cet ouvrage qui m'a beaucoup impressionné.
Actuellement, je fais une recherche sur les poèmes que Yvette a pu produire et je n'en trouve aucune trace.
Quelqu'un peut-il m'aider?
D'avance, merci, Viviane
viviane.lesselbaum@gmail.com

[Aifelle]

@ Annie : je comprends ton envie de plus petits livres.

@ Ptit Lapin : c'est ce qui m'a poussé à l'acheter d'abord, le monde de la peinture.

[ptitlapin]

Je le note, il me tente mais s'il a l'air très douloureux à lire. Bonne soirée. Bises

[Annie]

Peut être fera-t-il partie de la sélection de ELLE?...en fait, ça m'arrangerait!
J'ai déjà croisé ce livre assez volumineux et pour l'instant, vu le contexte, j'essaie de me replier sur des plus petits pour changer . Je le note pour plus tard parce que le monde des peintres m'intéresse!