La Daronne
"On dit de moi que j'ai mauvais caractère, mais j'estime cette analyse hâtive. C'est vrai que les gens m'énervent vite parce que je les trouve lents et souvent inintéressants. Lorsque par exemple ils essayent de me raconter laborieusement un truc dont en général je me fous, j'ai tendance à les regarder avec une impatience que j'ai peine à dissimuler et ça les vexe. Du coup, ils me trouvent antipathiques. Je n'ai donc pas d'amis ; seulement des connaissances".
Autant le dire d'emblée, c'est un coup de coeur. Et pourtant, les thèmes traités n'ont rien de glamour, ni d'attirant : le trafic de drogue, le fonctionnement de la police, le terrorisme, le déclassement social, la grande misère des vieux dans les Ephad etc ...
Avec une toile de fond des plus sombres, l'auteure parvient à nous faire rire, en menant son histoire tambour battant, dans un langage très éloigné de la langue de bois et du politique correct.
La narratrice a eu une enfance originale, entre une mère juive hantée par ce qu'elle a vécu dans sa jeunesse et un père qui fait des affaires lucratives et discrètes, vu leur caractère assez illégal. C'est pourquoi la famille vit chichement toute l'année, mais s'éclate dans le luxe pendant les vacances, loin des yeux du fisc.
Un mariage heureux, deux petites filles, puis c'est la catastrophe ; la mort brutale du mari, lui-même dans des affaires qui n'assurent pas l'avenir. Il faut travailler : "Et puisque je n'avais rien d'autre à offrir au monde qu'une expertise en fraude en tout genre et un doctorat en langue arabe, je suis devenue traductrice-interprète-judiciaire".
Lorsque le roman commence, la narratrice n'en peut plus de sa vie de misère, peinant à gagner trois sous, écrasée par la charge de sa mère qui lui coûte un bras depuis son AVC et à qui elle rend visite dans l'Ephad où elle est placée.
C'est au cours d'une de ses visites qu'un concours de circonstances l'amènera à franchir une ligne rouge. De l'écoute des trafiquants, elle va passer à trafiquante elle-même sous le nom de "La Daronne".
Racontée comme cela, c'est une histoire comme tant d'autres, mais voilà, il y a l'humour genre feu d'artifice de l'auteure. Ça dézingue dans tous les sens, elle n'y va pas par quatre chemins, les choses sont dites avec une verdeur réjouissante. On en apprend de belles sur le statut des traducteurs au sein de la police et si le trait est forcé par moment, on ne doute pas de la réalité de certaines situations.
Un roman que vous ne lâcherez plus quand vous l'aurez commencé et qui vous fera passer un excellent moment.
"C'est que je pourrais écrire une thèse sur les trafiquants de stupéfiants tant j'en ai écouté et tellement je les connais bien. Leur petite vie est à l'image de celle de n'importe quel cadre de la Défense : totalement dépourvue d'intérêt".
L'auteure, Hannelore Cayre, est avocate pénaliste. L'émission qui m'a donné envie de la lire ici. C'est un bon complément à la lecture.
Merci aux Editions Métailié
Hannelore Cayre - La Daronne - 172 pages
Editions Métailié - 2017