La nostalgie des buffets de gare
"J'ai toujours aimé les buffets de gare, ces monuments vivants dressés au coeur des villes. Je me rappelle, enfant, la fumée des derniers trains à vapeur sous la lourde charpente en fer. Ma mère partait en voyage et je l'avais accompagnée dans une mêlée de corps chargés de valises, de contrôleurs, de porteurs, de couples enlacés. Au début des années 1960, on voyait encore circuler quelques-unes de ces anciennes locomotives qui me donnent, rétrospectivement, l'impression d'avoir traversé un film en noir et blanc d'avant-guerre".
Il suffit de prendre le train, même épisodiquement, pour se rendre compte à quel point la machine est détraquée et l'auteur s'attache à raconter à la fois ses souvenirs et à décrypter les décisions politiques et commerciales qui ont amené à la situation actuelle, de plus en plus dégradée.
J'ai eu un peu la même impression qu'en lisant "Les années" d'Annie Ernaux, c'est-à-dire une remémoration de détails oubliés et que l'on retrouve avec bonheur. Ici, le plaisir du voyage quand la halte au buffet vous plongeait déjà dans l'ambiance. La qualité n'était pas forcément au rendez-vous, l'amabilité non plus, mais il y avait la poésie du départ. Maintenant la salle des pas perdus s'est transformée en salle des pas rentables ou chaque mètre carré est conçu pour vous faire dépenser et vite. Quant à vous asseoir, il ne faut pas y compter, vous faites la queue pour un café que vous devez abandonner en route parce que l'heure du train est arrivée.
L'auteur souligne que l'organisation des gares rénovées a été copiée sur les aéroports, ce qui abouti à la même ambiance froide et impersonnelle. Et que dire des gares de TGV, seules au milieu de nulle part, avec des navettes aléatoires vers la ville. Il évoque la différence de traitement entre les lignes à grande vitesse et les lignes secondaires qui ont été complètement sacrifiées. Trains sales, toilettes condamnées, retards récurrents, matériel vétuste, manque de sécurité, tout est passé en revue.
"Au sein de l'Union Européenne, le libéralisme des services représente un but obstiné. Bien qu'il ne réponde à aucun choix réellement démocratique, la France a résolu de s'y soumettre. Mais notre classe dirigeante, acquise à cet objectif, entend simultanément se présenter en défenseur de certaines institutions auxquels les citoyens semblent toujours attachés. C'est pourquoi toute la puissance publique a pris l'habitude de pratiquer ce double langage qui consiste, d'une part, à réaffirmer son attachement au secteur public : la SNCF, la poste, la santé ; mais simultanément à le réformer de l'intérieur, de telle façon qu'il s'aligne sur les normes de l'entreprise privée".
Il ne sous-estime pas les bénéfices de voyager rapidement, ni de faire une dernière course le soir à Monoprix, mais troquerait volontiers ces avantages-là contre des trains qui partiraient avec certitude et arriveraient à nouveau à l'heure comme avant.
J'ai aimé le ton de cet essai, peu importe si l'auteur est taxé de passéisme, il revendique le droit devant une modernisation annoncée de faire le compte de ce que l'on y a gagné et de ce que l'on y a perdu et il a toute ma sympathie.
Benoît Duteurtre - La nostalgie des buffets de gare - 110 pages
Manuels Payot - 2015