Comme une feuille de thé à Shikoku
"Je voudrais te transmettre le frisson des départs dans l'allégresse des matins silencieux*". La lumière est encore enveloppée d'une légère nuit bleue. Mes pas se font velours dans cette nature qui s'éveille. Mes bâtons chuchotent en accompagnant les balbutiements du lever du jour. Voilà une nouvelle aurore qui pointe avec audace à travers le voile noir de la nuit, clamant qu'hier n'est plus et qu'aujourd'hui est à réinventer. Constat joyeux qui me porte et n'a de cesse de me nourrir chaque jour davantage".
* Xavier Grall
Comment se retrouve-t'on sur une île au Japon, avec pour objectif un pèlerinage de 1200 kilomètres à pied, ponctués de 88 temples ? Il suffit de rencontrer un pèlerin japonais sur les chemins de Compostelle et de suivre son conseil. La pèlerine a droit à un tenue spéciale, veste blanche, chapeau conique et bâton avec une clochette qui tinte à chaque pas.
A l'origine du pèlerinage, le moine Kûkai, fondateur du boudhisme Shingon qui a trouvé l'éveil sur cette île. L'auteure est venue chercher la sérénité et le calme intérieur qui lui manquent à Paris, pensant qu'un changement total de pays et de culture l'y aiderait.
Elle se lance à une période inhabituelle pour le pèlerinage et se retrouve confrontée à de fortes chaleurs, souvent 35°, voire plus, ce qui ne l'empêche pas d'effectuer des étapes de trente cinq kilomètres.
C'est une lecture que j'ai trouvé très apaisante. L'état d'esprit de Marie-Edith Laval étant extrêmement positif, elle transmet ses impressions et ses rencontres avec bonheur, étonnée de se voir considérée avec tant de respect. Les Japonais font plutôt ce pèlerinage en bus, et une occidentale qui le fait à pied est en permanence un sujet de curiosité et de vénération.
Elle est comblée de petits cadeaux (c'est une tradition au Japon), souvent on lui propose de l'avancer en voiture, mais elle tient à tout faire à pied. Jour après jour, sanctuaire après sanctuaire, elle se débarrasse de tout ce qui l'encombrait. Elle se rapproche de l'état qu'elle recherchait, centrée sur l'essentiel. Sa démarche est spirituelle, elle fait son miel de tout ce qui la nourrit. La marche n'est cependant pas facile, les sanctuaires sont souvent en hauteur, il faut gravir un nombre incalculable de marches. Certains passages sont appelés "culbuteurs de pèlerins" tellement les montées sont rudes.
Elle décrit tantôt des temples nichés dans des paysages magnifiques, tantôt des passages dans un milieu fortement urbanisé, bruyant et éprouvant pour la marcheuse. Je dois dire que j'ai particulièrement savouré les fins de journée où elle arrive dans des auberges traditionnelles, avec des bains chauds et des repas magnifiquement préparés.
C'est un récit qui change complètement des écrits sur les chemins de Compostelle et qui m'a charmée, même si je l'ai trouvé parfois un peu exalté. La joie de la narratrice est communicative et sa démarche authentique. Son texte est émaillé de citations tirées de grands auteurs, poètes ou religieux où j'ai retrouvé de nombreuses références.
"Et si nous osions quitter l'autoroute de nos conditionnements et les sentiers battus du bonheur de masse ? Et si nous avions l'audace de la prise de risque, de nous engager sur des chemins de traverse, au plus près de notre unicité ? Simplement, laisser venir ce qui oeuvre à notre transformation personnelle, et par là même collective, pour bâtir ensemble un monde où règnent des valeurs humanistes et écologiques.
Laisser de l'espace et du temps à notre voix intérieure et lui accorder une voie d'expression, là où le mental ne peut que se taire et l'indéfinissable poindre".
En fin de récit, un carnet avec un glossaire et des renseignements pratiques sur le pèlerinage.
L'avis de Dominique
Le site de Marie-Edith Laval
Marie-Edith Laval - Comme une feuille de thé à Shikoku - 281 pages
Le Passeur - 2015