Rue Involontaire
Ce court texte de Sigismund Krzyzanowski a eu un destin particulier, puisqu'il a d'abord été perdu, confisqué par le KGB et oublié ensuite aux archives de Moscou. Qu'il n'ait pas provoqué l'arrestation de son auteur reste un mystère.
Il est constitué de sept lettres "écrites par l'écrivain et son co-auteur, la vodka". L'auteur a reçu en guise de monnaie des timbres-poste dont il ne sait que faire, il a donc envoyé des missives à n'importe qui, le premier venu, une fenêtre éclairée, le facteur ...
Suivent deux petits textes complètement loufoques et des extraits des carnets de l'écrivain.
J'ai donc découvert avec cet objet littéraire inclassable un écrivain russe dont je ne connaissais pas l'existence et j'ai beaucoup apprécié. Sans doute très autobiographiques, les lettres sont empreintes d'une dérision féroce, la description de la vie d'un écrivain sous Staline dans les années 30 désespérante, mais avec également des éclairs de poésie et une grande intelligence. La vodka l'aide à tenir debout. C'est brillant.
Quelques extraits :
"Me revoilà, fenêtre. Vous êtes sans doute écrivain. Qui d'autre veillerait nuitamment sous une lampe ? J'avoue, je n'aime pas nos écrivains. Ils sont tous pareils et parlent tous de la même chose. La vie donne des thèmes à foison, un sujet enfourchant l'autre et en poursuivant un troisième. Et eux filent à bride abattue dans l'autre sens. Ils n'ont qu'une thématique étique. Bien. Et après ?".
"De quoi on causait ? Ah oui, les enveloppes. Les pensées ont peur du soleil, elles préfèrent le ciel gris. Moi aussi, je suis complètement gris. Je vois trouble, j'ai des taches qui me dansent devant les yeux. D'abord, la pensée est dans le noir, dans son enveloppe d'os, et ensuite, dans une enveloppe de papier. Et il est plus facile de casser l'os que d'inciser la dépouille - puisqu'on dépouille le courrier, tu comprends ? - de papier et d'arriver jusqu'à ... Crénom de nom ! mes pensées sont saoules, elles titubent. Et l'encrier qui est par terre. L'encrier. J'arriverai pas à l'attraper. Et ma plume grft-"
"Cette vision du monde ne correspond pas à mes dioptries".
La tentatrice : Cuné
Sigismund Krzyzanowski - Rue Involontaire - 60 pages
Traduit du russe par Catherine Perrel
Editions Verdier - 2014