Gemma Bovery
"A plusieurs reprises, dans ce cahier, Gemma mentionne ses insomnies. Je l'imagine couchée là, comptant ses erreurs. Trois mauvais choix : mauvais mari, mauvaise maison, mauvais endroit.
Bien sûr, elle ne veut plus l'enfant de Charlie. L'image qui l'exaltait à Londres - le parfum des arbres en fleurs et les petits vêtements séchant au verger - est devenue insoutenable. Elle mourrait d'ennui enterrée en Normandie, et le bébé aussi, en grandissant.
Elle le sait, par les visites des enfants de Charlie. Leurs vacances sont sa hantise".
L'annonce de la sortie d'un film a été l'occasion d'emprunter ce roman graphique à la bibliothèque, d'autant plus qu'il se passe dans ma région et que j'habite la ville où est né Gustave Flaubert. Je crois que tout le monde sait que Posy Simmonds, illustratrice de renom, a eu l'idée de transposer l'histoire d'Emma Bovary de nos jours, égratignant au passage ses compatriotes qui achètent des maisons en France, et une petite bourgeoisie parisienne qui fantasme sur la vie "authentique" que l'on mène à la campagne.
Dans cette version, c'est Joubert, ex-parisien déçu de son travail dans l'édition et établi dans le village de Bailleville comme boulanger, qui raconte l'histoire, à travers les journaux tenus par Gemma. Pas de suspense puisque nous savons d'emblée qu'elle est enterrée depuis trois semaines. Il ne reste plus qu'à dérouler le fil des évènements. Joubert est obsédé par le roman de Flaubert et les coïncidences avec le couple d'anglais qui vient d'emménager à côté de sa maison sont troublantes. Le voilà qui se met en tête qu'elle va connaître le même destin qu'Emma. Il va se mêler de ce qui ne le regarde pas et précipiter exactement ce qu'il redoutait.
La transposition est amusante, on retrouve les ingrédients du roman initial, décalés, enrobés d'humour, emballement d'abord, puis l'ennui, l'arrivée d'un amant, d'un autre, Charlie qui ne voit rien, les dettes qui s'accumulent et le drame final. La chute du roman ne manque pas de sel, où l'on entrevoit que Joubert, ce malade obsédé par un personnage fictif, est loin de la guérison.
Posy Simmonds - Gemma Bovery - 106 pages
Denoël - 2000
Maintenant, le film. Je l'ai vu au milieu de ma lecture, ce qui n'a pas été perturbant, l'adaptation est sage et plutôt fidèle au roman graphique, avec les inévitables simplifications. La campagne normande est bien filmée, il pleut souvent, l'interprétation est impeccable, j'ai retrouvé avec plaisir Gemma Arterton déjà vue dans "Tamara Drewe" ; quant à Fabrice Lucchini, plutôt sobre, je l'ai trouvé assez crédible en boulanger bobo, davantage qu'Isabelle Huppert en fermière (ici). Elsa Zylberstein, en voisine riche et snob joue les fofolles avec une manifeste jubilation. A noter une légère différence à la fin du film, qui ne nuit en rien à l'ironie de la scène.
Gemma Bovery - Réalisatrice Anne Fontaine - 2014