Chercher Proust
"Maman n'existait plus que pour moi, j'étais son unique préoccupation. Le matin elle se levait pour faire mon petit-déjeuner, à mon réveil mon café au lait était prêt, à bonne température, et même si mes horaires n'étaient pas réguliers et que je ne les lui communiquais jamais, instinctivement (en fait elle épiait chacun des bruits provenant de ma chambre) elle s'adaptait à mon emploi du temps. Pour reprendre une plaisanterie sur les mères juives, lorsque je me levais la nuit pour faire pipi, maman refaisait mon lit".
"Chercher Proust" dit le titre, en réalité c'est plutôt Jacques Bartel, le narrateur, qui se cherche. Après plusieurs décennies consacrées au célèbre auteur, il ne sait plus qui il est lui-même, ni où il est exactement !
Il est tombé dans "la recherche" à 14 ans, d'une surprenante manière, en mordant dedans, au sens propre, et n'en est plus sorti. Il faut dire que la vie ne l'a pas gâté. Fils unique, une mère étouffante, un père parti sans un mot du jour au lendemain, une maladie qui le cloue au lit à l'adolescence, rien de bien enthousiasmant. C'est là qu'un oncle lui offre l'oeuvre de Marcel, lui faisant mettre le doigt dans un engrenage dont il ne sortira plus. Il fait des études de lettres et tout naturellement rejoint la cohorte des spécialistes de Proust en devenant chercheur lui-même.
Rien de déshonorant me direz-vous, mais voilà, il en oublie de vivre parmi les autres. Un jeune ado qui se passionne pour Proust n'est pas des mieux vus par ses congénères, il se retrouve marginalisé et moqué. Son côté falot et terne n'arrange rien et ce ne sera pas mieux dans sa vie d'adulte. Ses collègues chercheurs ne l'acceptent pas plus que ses camarades de lycée. Côté sentimental, il partage un temps la vie de Mathilde. Séduite par son côté intello, elle se lasse vite de ses perpétuelles réflexions sur Marcel "Mathilde était fière de fréquenter un chercheur. Elle disait à ses amies "Jacques est chercheur, spécialiste de Proust ..." (Nannanère ...). Ces dernières qui ne connaissaient pas l'auteur la regardaient avec envie et ajoutaient "Il doit être super doué ton mec. Il sait certainement parler aux femmes, lui". Bref, Marcel devient très encombrant dans l'existence de Jacques, au point qu'il cherche à s'en débarrasser.
Surprenant roman, qui fourmille d'idées et rebondit constamment d'une déconvenue à une autre. Sa grande force est d'être amusant, léger, fin, le narrateur pratique l'auto-dérision avec maëstria. La communauté des exégètes de l'oeuvre de Proust est égratignée avec verve, mais là où il touche vraiment c'est dans le contraste entre le looseur que Jacques semble être dans la vie et la sensibilité et l'intelligence dont il est en réalité doté. Jacques n'est dupe de rien et c'est là qu'il est attachant.
J'imagine que les grands connaisseurs de "la Recherche" vont trouver de multiples allusions à l'oeuvre ; je n'en suis pas, ce qui n'est pas pour autant un obstacle, on peut apprécier ce texte sans avoir lu Proust.
A noter que l'auteur vient de sortir un deuxième roman "Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse".
L'avis de Yv
Michaël Uras - Chercher Proust - 201 pages
Le Livre de Poche - 2014