"Elles n'ont plus besoin d'expliquer. Plus besoin de redire que non, c'est pas comme un rhume, ça ne disparaît pas après quelques semaines avec du doliprane. Que oui, elles sont bien atteintes mais que non, ça ne résume pas toute leur vie. Quand elles s'étaient rencontrées, Mia avait trouvé ça étrange d'être aussi connectée à des inconnues. Et puis assez vite, elle avait compris la logique. On les poussait entre elles, c'était le reste du monde qui préférait qu'elles restent ensemble, que leurs histoires circulent en circuit fermé, qu'elles ne soient surtout pas dites à voix haute. Il fallait qu'elles prennent soin réciproquement d'elles-mêmes, pour pouvoir être présentables en société, sans faire de vagues".
Un premier roman qui tape fort sur le thème des violences faites aux femmes. Les jeunes femmes qui le composent ont toutes été agressées sexuellement par des garçons dont certains ne se sont même pas rendus compte qu'ils violaient. Exaspérées du laxisme de la justice et de la police, empêchées de parler pour ne pas trop déranger, elles décident de constituer un gang de filles et de faire justice elle-même. Elles en ont assez de raser les murs, d'avoir peur tout le temps, de sentir leurs corps se rétracter, les cauchemars hanter leurs nuits.
Elles en discutent longtemps entre elles, elles fixent les limites à ne pas dépasser, elles ne veulent pas tomber dans la même violence que leurs agresseurs et elles passent à l'acte. Elles retrouvent ceux qu'elles peuvent identifier et leur rendent une petite visite, histoire de les mettre devant la réalité de ce qu'il ont fait et ses conséquences. Ils le savent au fond qu'ils ont dépassé les bornes, sans vouloir bien sûr y réfléchir vraiment.
Chacune d'elle puise de la force dans l'échange avec les autres. Elles se comprennent à demi-mot, pas besoin d'en dire plus. Pour la première fois elles reprennent courage, se sentent enfin moins seules, entrevoient la possibilité de sortir de ce qui les terrasse et ont l'espoir d'avoir un avenir possible.
J'ai reçu ce texte court comme un puissant cri de colère trop longtemps contenu. Le style coup de poing m'a fait penser à Virginie Despentes. Les questions soulevées sont multiples, déjà par rapport à l'inertie de la société et de ses institutions sur le sujet, ensuite le problème moral sur le droit de faire justice soi-même. Que se passerait-il si massivement, les femmes se vengaient ? L'une des filles ne veut d'ailleurs pas utiliser le terme vengeance. Elles font simplement justice. L'impunité quasi-totale n'est plus supportable. La peur doit changer de camp.
Nous suivons tour à tour chaque personnage, la personnalité de chacune est fouillée, leur évolution se fait au fur et à mesure des actions, dans des directions différentes et chacune est respectée.
C'est un premier roman prometteur, un sujet brûlant et un vrai livre sur la sororité.
"Après l'action, elles sont euphoriques, euphoriques d'avoir été jusqu'au bout du plan, heureuses de n'avoir pas fait ce qu'on leur a appris, baisser la tête et se recoudre entre elles. Personne n'apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie des représailles bien faites, ne leur dit que rendre les coups peut faire fourmiller le coeur, qu'on ne tend pas l'autre joue aux violeurs, que le pardon n'a rien à voir avec la guérison. On leur apprend à prendre soin d'elles et des autres, à se réparer entre elles, à "vivre avec", elles paient leur psychothérapie pendant que l'autre continue sa vie sans accroc, sans choc, toujours plus puissant".
L'avis du Petit Carré Jaune
Marcia Burnier - Les orageuses - 144 pages
Editions Cambourakis - 2020