Dans la course
"Du coin de l'oeil, elle vit le blond aux jambes raides se relever, la regarder. Le courant d'air que produisit son passage sécha la sueur sur le front du garçon. Elle était loin d'avoir atteint son maximum. Elle ne faisait la course contre personne, elle fuyait l'image de sa mère renversée par la voiture. Elle fuyait les Doyle au petit-déjeuner quand ils disaient qu'elle habitait trop près, elle fuyait la fille de l'accueil qui sous-entendait qu'elle n'était pas assez bien pour courir sur cette piste et qu'elle ne méritait pas non plus d'habiter Dartmouth Street. Elle fuyait Thoreau et son bocal de poissons parce qu'il continuait à la hanter. Comment aurait-elle pu savoir qui elle était ?"
Depuis la mort de sa femme, il y a une quinzaine d'années, Doyle élève seul ses deux fils, Tip et et Teddy, 20 et 21 ans. Doyle est l'ancien maire, blanc, de Boston. Les deux enfants adoptés sont noirs. Le fils aîné de Doyle, Sullivan, a quitté le foyer depuis longtemps et ne donne guère de nouvelles. Doyle est plus confiant dans l'avenir de Tip et Teddy que dans celui de Sullivan. Il ne désespère pas de les voir entrer en politique, comme lui.
C'est en sortant justement d'un meeting que Tip se fait renverser par une voiture qu'il n'a pas vu arriver. Il ne doit la vie sauve qu'à une femme noire qui s'est jetée sur lui à la dernière minute. Il n'est que légèrement blessé, par contre, la femme, Tennessee, est gravement atteinte. L'accident a eu lieu devant sa fille, Kenya. La gamine ne sait pas où aller, et se retrouve hébergée chez Doyle.
Choc de l'accident, choc des milieux sociaux, irruption du passé, les jours qui suivent vont être bouleversants pour chacun des protagonistes de l'histoire. La femme, Tennessee, est à l'hopital dans le coma. Tip et Teddy apprennent que ce n'est pas une inconnue pour eux, qu'elle veille sur eux de loin depuis longtemps. Kenya sait tout ce qu'il y a à savoir sur les garçons, alors qu'eux n'ont jamais entendu parler d'elle. Pour ajouter encore au trouble de la situation, Sullivan choisit ce moment pour revenir d'Afrique, déboussolé et paumé.
Je voulais lire Ann Patchett depuis un moment et c'est une vraie découverte. J'ai beaucoup aimé ce roman, qui donne la parole à chacun, permettant de saisir leur état d'esprit et le bouleversement provoqué par l'accident. Il n'y a pas de grande révélation puisque l'on sait rapidement de quoi il retourne, l'intérêt de l'histoire est de saisir de manière approfondie comment l'accident et ce qui en découle va modifier l'avenir tout tracé des garçons et celui de Kenya.
Kenya est particulièrement attachante, séparée brutalement de sa mère, projetée dans un milieu qui n'est pas le sien, habituée aux humiliations liées à sa couleur de peau et à leur pauvreté. Heureusement qu'elle a la course pour se défouler, sport où elle excelle et auquel elle espère se consacrer.
Il y a par contre une autre révélation inattendue au coeur du roman, faite sous forme un peu surnaturelle et c'est la seule réserve que j'aurai, je n'ai pas très bien compris pourquoi l'auteure avait choisi cette forme là pour en parler.
Un quasi coup de coeur et une auteure de plus à suivre ...
Ann Patchett - Dans la course - 352 pages
Traduit par Marie-Odile Fortier-Masek
Babel - 2019