Sur l'eau
"Raymond affirme que nous aurons vent d'est, Bernard tient toujours pour l'ouest et me conseille de changer d'allure et de marcher tribord amures sur le Drammont qui se dresse au loin. Je suis aussitôt son avis et, sous la lente poussée d'une brise agonisante, nous nous rapprochons de l'Esterel. La longue côte tombe dans l'eau bleue qu'elle fait paraître violette. Elle est bizarre, hérissée, jolie, avec des pointes, des golfes innombrables, des rochers capricieux et coquets, mille fantaisies de montagne admirée."
Je commence ma participation au challenge Maupassant (Chez Une Comète) par le journal de bord tenu par l'auteur en 1888, lors d'une croisière sur les côtes de la Méditérrannée, à bord de son voilier, le "Bel-Ami". En fait, il est assez peu question de navigation et davantage des escales à terre. Il est assisté par deux matelots aguerris.
Maupassant a écrit chaque jour ce qu'il voyait et ce qu'il pensait, ce qui est l'occasion de réflexions sur la société, la vie à Menton et à Cannes à la fin du 19e, les mondanités, la littérature. Il y a de longs passages sur la guerre, qu'il dénonce et sur l'état du pays. Il se montre volontiers ironique, souvent triste et peu optimiste sur l'évolution de l'homme.
La côte qu'il décrit n'existe plus guère, elle avait encore un aspect sauvage qui a disparu. Menton et l'aristocratie russe qui venait y mourir de tuberculose semblent bien loin. Qu'aurait-il pensé du tourisme de masse et de ses destructions ?
C'est un bonheur de retrouver le style de Maupassant, sa fluidité, son talent pour décrire les hommes et leurs intrigues.
J'ai apprécié la préface de Björn Larsson, marin lui-même.
A lire, pour connaître un peu mieux l'auteur et son époque.
"Un grand rassemblement se tenait devant l'église. On mariait là-dedans. Un prêtre autorisait en latin, avec une gravité pontificale, l'acte animal, solennel et comique qui agite si fort les hommes, les fait tant rire, tant souffrir, tant pleurer. Les familles, selon l'usage, avaient invité tous leurs parents et tous leurs amis à ce service funèbre de l'innocence d'une jeune fille, à ce spectacle inconvenant et pieux des conseils ecclésiastiques précédant ceux de la mère et de la bénédiction publique, donnée à ce que l'on voile d'ordinaire avec tant de pudeur et de souci".
Guy de Maupassant - Sur l'eau - 194 pages
Arthaud poche - 2019