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"Le capitalisme triomphant a bien compris que pour
exploiter au mieux l'ouvrier
Il faut l'accommoder
Juste un peu
A la guerre comme à la guerre
Repose-toi trente minutes
Petit citron
Tu as encore quelque jus que je vais pressurer"

J'ai enfin lu le roman (récit ?) qui fait beaucoup parler de lui depuis la rentrée de janvier. Billet après billet j'avais compris que la forme était particulière, mi-prose, mi-vers, ce qui ne me paraissait pas évident. En fait, c'est un style de narration qui permet d'entrer tout de suite dans le vif du sujet, à un rythme qui colle à celui de la ligne, puisque l'on ne dit plus à la chaîne (ah la novlangue ..).

Ce n'est pas la première fois que je lis sur l'usine, mais il est clair que les conditions de travail ne s'arrangent pas. Le narrateur a fait des études de lettres, puis a travaillé comme éducateur. Arrivé en Bretagne par amour, il ne trouve pas d'emploi dans sa branche et se résout à devenir intérimaire, dans le secteur agro-alimentaire.

Intérimaire, ça veut dire corvéable à merci, mal payé, des horaires toujours changeants, souvent à la dernière minute, un travail abrutissant, rebutant, qui abîme le corps et le moral jour après jour. D'abord les poissons, ensuite le tofu, à vous dégoûter de devenir végétarien et enfin l'abattoir. Les postes où l'on n'aimerait pas être assigné et pourtant un jour on s'y retrouve et on fait comme les autres.

"Qu'y comprendrais-tu si je te racontais exactement
l'abattoir ?
Ton regard changerait-il sur moi ?
Me considérerais-tu comme un agent de la banalité
du mal ?
Un salaud ordinaire
Celui qui accomplit sa tâche de maillon de la
chaîne dégueulasse et s'en dédouane pour plein de
bonnes raisons"

Ce qui sauve le narrateur, c'est sa culture littéraire et musicale. Il chante du Trénet, il évoque ses auteurs favoris, son imaginaire se met en roue libre, pendant que son corps agit machinalement. Dans ce milieu deshumanisé, la solidarité n'est pas absente, même si parfois les tire-au-flanc énervent.

L'auteur a les mots pour dire et ils percutent durement. Il est capable aussi de décrypter ce qu'il vit, de pointer les responsabilités, de se situer dans un monde capitaliste devenu fou. Il aimerait tant rejoindre ceux qui font la grève, mais il ne peut pas le faire.

"Si je n'avais pas la frousse de perdre ce satané
boulot
Si j'avais les couilles d'un lanceur d'alerte
Si jeunesse savait
Si vieillesse pouvait
Si moi qui ne suis plus jeune ni vieux savais et
pouvais
Bordel le bordel que je foutrais dans ce satané
abattoir"

Le quotidien à l'usine, la hantise de se retrouver sans contrat et sans le sou, tout cela est contrebalancé malgré tout par les bons moments passés avec sa femme, ou tout seul à savourer un verre de vin.

L'auteur-narrateur nous met devant une réalité que nous connaissons, mais sans nous y attarder, peut-être parce qu'elle nous fait trop froid dans le dos. C'est un texte à lire absolument, mais je vous préviens il ne vous ouvrira pas l'appétit ..

L'avis d'Alex Cathulu Clara Dasola Delphine-Olympe  Hélène etc ...

Joseph Ponthus - A la ligne - 272 pages
Editions Gallimard - 2019