Jeu blanc
"Nous étions comme du bétail. C'est ainsi que nous étions traités. Nourris, abreuvés, contraints de porter notre fardeau quotidien et rentrés à l'abri pour la nuit. Quiconque s'esquivait ou se plaignait était battu devant tous les autres. C'était peut-être cela le plus grand crime : nous rendre complices en faisant de nous des témoins silencieux et impuissants. Parfois des garçons ou des filles parmi les plus âgés s'interposaient pour essayer d'interrompre une correction, mais ils étaient roués de coups jusqu'au sang et emmenés - on ne les revoyait jamais".
Ma dernière lecture du mois est aussi celle qui me laissera l'empreinte la plus forte. Lorsque l'histoire commence, Saul est un homme mûr qui entreprend de raconter son parcours jusqu'au centre de réhabilitation où il est actuellement.
Saul est un indien Ojibwé, du clan des Poissons. Il a vécu dans sa famille, surtout avec sa grand-mère, jusqu'à l'âge de 8 ans, où les blancs lui ont mis la main dessus pour le placer dans un pensionnat. Le but était d'effacer tout ce qui était indien en eux, de leur faire oublier leur origine pour en faire de bons catholiques. Ils étaient exploités et maltraités de toutes les manières possibles par les prêtres et les religieuses.
Saul est resté dans ce pensionnat jusqu'à l'âge de 14 ans ; ce qui lui a permis d'en sortir, c'est sa passion pour le hockey, sport où il a excellé rapidement, sous la houlette d'un prêtre moins dur que les autres. Il pourrait se hisser au plus haut niveau, mais où qu'il aille, on ne voit pas en lui un joueur de hockey, mais encore et toujours l'indien que l'on rabaisse. Le hockey doit rester un jeu de blanc.
D'un caractère plutôt doux, il deviendra de plus en plus amer, trouvera refuge dans l'acool et n'en finira plus de s'enfoncer, jusqu'à ce qu'il accepte de regarder le passé en face.
J'ai lu la gorge serrée tout le temps tellement certaines scènes sont insoutenables. Le sort qui était réservé à ces enfants était inhumain, on se demande comment des adultes peuvent se montrer aussi cruels. Certains ne s'en relèveront jamais.
Par ailleurs, l'écriture est magnifique ; Le premier chapitre qui se déroule dans la nature, avec la grand-mère qui respecte encore la vie traditionnelle, est superbe. On y sent la proximité des Indiens avec toute créature vivante, leur spiritualité qui dérange tant l'église. On y voit aussi les ravages déjà faits. La mère de Saul a elle-même été placée et en est sortie en mauvais état. Un des frères de Saul a pu s'enfuir, mais est mort de tuberculose, comme tant d'autres.
Il faudra beaucoup de temps à Saul pour comprendre ce qui lui est véritablement arrivé et pouvoir se réconcilier avec lui-même et ses racines. Ce que sa grand-mère lui a enseigné n'a pas été perdu. C'est un livre pudique et bouleversant, avec une part sans doute très autobiographique.
A lire absolument.
"C'est un don de Dieu, dit posément ma tante.
La vieille femme répliqua tranquillement :
Peu importe comment tu écris l'adresse, l'expéditeur reste le même.
Nous devrions prier avec un rosaire et faire nos remerciements de la bonne façon, dit ma tante. Cette façon-ci est mauvaise.
Blasphème, acquiesca ma mère.
Cette école t'a donné des mots qui ne s'appliquent pas à nous, ajouta ma grand-mère. Ici, il n'est pas utile de garder l'esprit ligoté à la peur.
On nous a appris la crainte de Dieu, dit ma mère.
Qui aime ne brandit ni ne requiert la peur".
L'avis de Alex Krol Lecture-Ecriture Sandrine
Richard Wagamese - Jeu blanc - 256 pages
Traduit de l'anglais par Christine Raguet
Editions Zoé - 2017