La veuve
"Et soudain elle comprit qu'elle avait rejoint le pont des Indiens. Debout dans les jeunes pousses vertes, elle en eut le souffle coupé, cependant que, en hauteur, résonnaient des voix. Elle resta un moment immobile. Derrière elle, le pont, délicat, semblable à une toile d'araignée. Elle se figea, s'exhorta à desserrer les doigts pour laisser tomber la carabine. Mentalement, elle évaluait le pont qui s'affaissait au milieu, l'écorce humide et glissante qui attendait ses bottes, les cordages servant de main courante à moitié moisis. Les trembles tombés enjambaient le vide, et on voyait leurs racines dénudées. Le pont supporterait-il son poids ? Celui de ses poursuivants ? Elle comprit qu'elle n'atteindrait jamais l'autre côté la carabine à la main."
Il est des romans que l'on ne remarque pas à leur sortie, pas le moment ou pas l'envie. Et puis la sortie poche, une couverture plus attirante et c'est la bonne surprise. Une histoire âpre et forte dans une nature sauvage qui ne fait aucun cadeau.
Début des années 1900, au nord du Canada. Mary Boulton, dix-neuf ans, a pris la fuite. Nous apprenons dès les premières pages qu'elle a abattu son mari. Ses deux beaux-frères, des géants roux, sont à ses trousses pour se venger.
Eperdue et affolée, elle va droit devant elle, toujours plus au nord, ne sachant ni quoi faire, ni comment survivre. Le roman se déploie dans une tension constante, entretenue par la traque des frères. Vont-ils réussir à la rejoindre ? Et que feront-ils à ce moment-là, ces deux taiseux dont l'apparence suffit à glacer les sangs de tout le monde.
La nature hostile est un personnage à part entière dans l'histoire, il y a entre autres, une évocation dantesque d'un glissement de terrain qui a réellement eu lieu au Canada ; Mary va être confrontée à des situations où seuls comptent les besoins primaires, se nourrir, s'abriter, se réchauffer, toujours plus loin des hommes. Pourtant, elle va en rencontrer qui vont lui être secourables. Le coureur des crêtes, un pasteur excentrique et néanmoins protecteur, un indien, un nain doué en commerce et d'autres encore. La plupart du temps ce sont des marginaux, des hommes rudes, contraints par la misère à des travaux éreintants.
J'ai oscillé tout au long de ma lecture entre l'agacement parfois devant la passivité de Mary, sa longue habitude d'obéissance et ensuite l'admiration, parce qu'elle va se révéler dans cette fuite. Elle n'est pas si fragile que cela la petite Mary, elle a des ressources qu'elle va apprendre à utiliser.
L'auteure nous réserve d'ailleurs une surprise en fin de roman, une pirouette à laquelle je ne m'attendais pas et qui m'a enchantée.
Un premier roman déjà très abouti, qui mêle l'aventure, le romanesque et les vastes contrées perdues.
Des avis chez Babelio et celui d'Athalie
Gil Adamson - La veuve - 420 pages
Traduit de l'anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Editions 10/18 - 2011