Le garçon sauvage
"Je rouvris les yeux après m'être assoupi je ne sais combien de temps - une demi-heure, deux heures, peut-être trois ? Dans le ciel, la lune s'était couchée, et mon feu n'était plus qu'un tas de braises incandescentes. Sous mon dos, le sac de couchage était trempé de rosée. Le cou endolori par la position dans laquelle je m'étais endormi, je me levai, allai m'asperger le visage à la fontaine, et l'eau glacée de la nuit me réveilla aussitôt. J'hésitais entre aller au lit ou ranimer le feu et attendre l'aube qui ne devait plus tarder. Encore ce vieux besoin de prouver ma virilité : j'aurais pu me dire que j'avais passé une nuit à la belle étoile, étendu au coin du feu comme mes héros. Mais si l'ennemi à combattre, c'était moi, abandonner la compétition et filer sous la couette, c'était peut-être cela, en fin de compte, la vraie victoire".
Le narrateur, jeune homme de 30 ans, quitte Milan et une vie qui ne lui convient plus pour se réfugier en montagne, dans la Vallée d'Aoste, à deux pas de l'endroit où il passait toutes ses vacances d'été lorsqu'il était enfant.
Il a loué une baita, sorte de cabane en pierre dans la montagne où il pense vivre en solitaire, le plus simplement possible, en retrouvant le monde animal et végétal. Il emporte ses auteurs favoris, Thoreau, Rigoni Stern, Elisée Reclus etc ... puisant dans leurs mots un exemple et un réconfort.
Sa solitude n'est pas aussi grande qu'il l'avait imaginé ; il y a Remigio, l'homme qui lui a loué la baita, Gabriele qui habite un peu plus loin et ensuite les bergers qui font monter leurs troupeaux pour la saison. Au coeur de l'été il monte encore plus haut, jusqu'à un refuge où il reste quelques jours. Les longues marches, les nuits à la belle étoile, les animaux pour compagnons, tout n'est cependant pas idyllique pour le narrateur qui est parfois envahi par des peurs anciennes ou dépassé par son isolement et sa décision.
Voilà un récit qui se savoure tranquillement, au rythme de l'auteur, dont nous suivons pas à pas la progression, les réflexions et les découragements. Ecrit avec pudeur, il décrit un instant de vie en suspension, nous faisant partager le quotidien d'un homme qui cherche son authenticité et retrouvera sans doute le goût d'écrire d'ici son départ.
C'est le genre de lecture où il faut avoir à portée de main un papier et un crayon pour noter les auteurs évoqués, notamment une poétesse de grand talent Antonia Pozzi, que je ne connaissais pas.
Un récit que je place dans les meilleurs de sa catégorie.
"Certains jours, nous avions de la visite. Pas plus de deux ou trois personnes à la fois que nous guettions d'en haut avec nos jumelles. Andrea les appelait "les éphémères". Davide les accueillait sur le seuil, leur servait une assiette de polenta avec de la tomme et un verre de vin, les accompagnait à l'étage s'ils voulaient rester dormir puis nous rejoignait à la cuisine. Nous gardions nos distances, non pas parce que nous n'aimions pas les visiteurs, mais parce qu'ils appartenaient au monde d'en bas et nous en apportaient des nouvelles, des nouvelles que nous préférions ne pas avoir. On s'en passait très bien. Quand les éphémères repartaient, nous les regardions s'éloigner, se faire de plus en plus petits, puis disparaître au détour d'un chemin, et c'est avec soulagement que nous retrouvions notre solitude".
L'avis de Dominique Hélène Ptit Lapin
Paolo Cognetti - Le garçon sauvage - 141 pages
Editions Zoé - 2016