"Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la nourriture avariée. Des oeufs pourris. Des foules et de leurs préjugés, de leur haines, de leurs convoitises. De la maladie comme des moyens mobilisés pour la contrer. Du comprimé absorbé après une lecture attentive du dictionnaire Vidal. De l'asphyxie au gaz de ville. D'une noyade en mer. D'une avalanche en montagne. Des voitures. Des accidents. Des porteurs d'uniforme. De toute personne investie d'une autorité quelconque, donc d'un pouvoir de nuire. Des formulaires officiels. Des recours administratifs. De la petite comme de la grande histoire. Des joies trompeuses. Du blanc qui présuppose le noir. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. Des Français qui se définissent comme bons, par opposition à ceux qu'ils jugent mauvais. Des voisins indiscrets. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr".
Quelle famille, mais quelle famille ! C'est forcément la réflexion qui vient toute seule tout au long de la lecture de ce mélange fiction/réalité assez fascinant.
L'auteur a choisi de nous présenter sa famille-gigogne à travers le filtre de chaque pièce du grand appartement de la rue de Grenelle à Paris, en commençant par la voiture, considérée comme une extension de l'appartement.
La cache est un "entre-deux" au coeur de l'appartement qui a servi à dissimuler le grand-père juif, Etienne, pendant la deuxième guerre mondiale. Le récit n'est pas chronologique mais va et vient entre les époques et la généalogie, au fur et à mesure que nous progressons dans les pièces de l'appartement, lieu où le clan se resserre jusqu'à dormir tous dans la même chambre.
La famille est dominée par la personnalité de la grand-mère, Myriam, née Marie-Elise ans dans une famille pauvre de Rennes, et adoptée par une riche "bienfaitrice" qu'elle détestera. Atteinte de poliomyélite, elle refusera toujours de se laisser dominer par le handicap et fera tout pour le faire oublier.
Dans la famille, je connaissais Christian Boltanski, l'artiste, vaguement Luc, le sociologue et c'est tout. Je n'imaginais pas une histoire familiale aussi originale et touchante. Je ne regarderai plus les oeuvres de l'artiste plasticien de la même manière. C'est une histoire liée à l'exil, aux origines, l'identité, la religion. Rien de lourd dans ce récit, l'auteur a la plume légère, un peu distante, mais très tendre envers cette curieuse famille qui l'a forgé.
Un prix Fémina 2015 mérité en espérant que d'autres romans suivront.
L'avis de Blablamania Cathulu Clara Luocine
Christophe Boltanski - La Cache - 344 pages
Editions Stock - 2015