La fabrication de l'aube
"C'est de ma mère que j'ai appris à vivre lentement. Les matins d'été, à la maison familiale, elle venait souvent s'asseoir sur la balcon. Je l'y rejoignais, elle me disait : "écoute cet oiseau dans l'orme ; c'est le même que j'ai entendu hier, et avant-hier encore. Il a ses habitudes". J'avais dix, douze ans. Je tendais l'oreille sur le monde, et le monde me renvoyait sa rumeur chantée. C'était avant que je ne perçoive le fracas venu du fond de la terre, charriant avec lui la colère des peuples entrechoqués, le bruit de la bêtise faite homme".
En 2004, l'auteur est atteint d'une maladie grave. Plongé dans le coma quelques jours, il pense sa dernière heure venue et le livre est le récit de son retour inespéré à la vie. Assez subjuguée par son roman "Le jour des corneilles", j'étais curieuse de savoir comment il avait vécu cette épreuve fondamentale.
Je commence par préciser que ce n'est pas un livre sur la maladie, il n'y a pas de description de son état physique, hormis la douleur envahissante, mais plutôt de son état d'esprit devant cette vie qui lui est redonnée et des bouleversements qu'elle implique.
Il est surtout question d'amour et de vie dans ce récit. L'amour que lui porte sa famille, sa femme, ses quatre frères et sa soeur et celui qu'il a pour eux et pour ses parents disparus. Les longues heures passées à l'hôpital l'incitent à visiter ses souvenirs d'enfance et à les revoir autrement. Par ailleurs, les médicaments lui donnent des hallucinations qui l'entraînent dans des rêveries étranges.
La prose est poétique, l'auteur accorde une grande place à la nature, aux animaux, à toutes les créatures vivantes. Il revient sur son rapport à l'écriture, son métier d'écrivain. Des questions essentielles défilent sur la vie, la mort, la spiritualité.
Une très belle lecture.
"Même longtemps après ma guérison, j'ai éprouvé un sentiment étrange. Cela me prenait surtout quand j'étais au milieu des foules. Je me sentais bien sûr pareil à tous ces gens : nous partagions à peu près les mêmes joies, les mêmes craintes et les mêmes espoirs. Mais j'étais seul, incroyablement seul. Ce n'était plus la solitude sombre du malade séparé des hommes par la douleur. Comment bien expliquer cela ? Je me répétais cette chose simple et si débordante de sens "J'ai survécu".
Jean-François Beauchemin - La fabrication de l'aube - 106 pages
Libretto - 2014