Illska
"Nous ne savions pas, proclamaient les pancartes sorties par les Allemands dans les rues et sur les places les journées qui suivirent la fin de la guerre. C'était clair et net : Nous ne savions pas. La formule ne précisait pas la nature de ce qui avait échappé à leur attention. Le monde, la guerre, le nazisme. La phrase était dénuée de complément d'objet. Les Allemands ne clamaient pas leur innocence, du reste ça n'aurait pas servi à grand-chose, ils étaient vaincus. Ils déclaraient une ignorance qui n'avait aucune limite : Nous ne savions pas. Suite et fin. Nous ne savions pas l'heure qu'il était, à quel moment le jour se levait, à quel moment il finissait, à quel moment les fleurs fleurissaient, comment la musique naissait, pourquoi le ciel était bleu ou encore ce qu'étaient devenus tous ces gens. Simplement, nous ne savions pas."
Voilà un roman pas confortable à lire, ni dans la forme, ni dans l'histoire ; d'ailleurs j'ai l'impression d'en avoir lu plusieurs tellement le contenu est riche et multiple. La narration est déroutante, avec des époques qui s'entremêlent, l'auteur n'hésite pas à interpeller son lecteur, à mélanger les récits, à laisser un bébé s'exprimer comme un adulte etc ...
Le roman débute par la rencontre d'Agnès et d'Omar, devant une station de taxis. Très rapidement ils vivent ensemble et un fils naîtra, Snorri. Ce qui n'empêche pas Agnès d'avoir un amant néo-nazi, Arnor. Elle n'en finit pas de préparer un mémoire sur la montée des extrêmes droites en Europe.
Ses arrières-grands-parents paternels et maternels vivaient à Jubarkas, en Lituanie pendant la seconde guerre mondiale. Nous savons d'emblée qu'un arrière-grand-père a tué l'autre. Il faudra tout le roman pour remonter le fil des évènements. Le temps d'entrer en profondeur dans le passé et le présent de chaque personnage, d'en fouiller les contours et de le situer dans un contexte plus large, politique, social, affectif.
Je sors de cette lecture bousculée , avec des sentiments divers. Le contenu est dense, ambitieux, le ton souvent ironique et caustique. Le trio amoureux formé par Agnès, Omar et Arnor ne m'a pas paru sympathique, sauf peut-être Omar, le plus faible des trois, le plus humain par certains côtés. Ils entretiennent des relations compliquées et malsaines.
Je me suis beaucoup plus attachée à l'histoire des arrières-grands-parents pendant la guerre. Les uns Lithuaniens "de souche", collaborant avec les Allemands, les autres Juifs, faisant l'objet de persécutions dès l'arrivée des nazis, allant crescendo jusqu'à son cortège de massacres. Agnès est hantée par ce passé et cherche à comprendre, ce qui explique sans doute en partie sa fascination pour Arnor, fascination mêlée de répulsion.
Je pourrais en raconter davantage, mais ce ne serait pas intéressant, c'est un roman dans lequel on s'enfonce, ou pas, admirative devant l'inventivité de l'auteur, sa force et son audace. C'est une lecture exigeante, qui demande un temps d'assimilation et de réflexion. Comme dans "Purge" c'est l'occasion de découvrir l'histoire récente d'un pays balte, que je connais peu.
Quelques avis chez Babelio
Merci aux Editions Métailié
Prix de la littérature islandaise 2012
Prix des libraires islandais 2012
Je signale que l'auteur sera présent au festival les Boréales, à Caen, du 13 au 28 Novembre 2015
Eirikur Örn Norddahl - Illska - 597 pages
Traduit de l'islandais par Eric Boury
Editions Métailié - Août 2015