Si tu passes la rivière"Ils ont beau être différents, mes deux frères, pour certaines choses ils s'entendent comme la lune et les étoiles. Les choses comme les sous, comme "On ne mettra jamais les pieds dans ton église, curé," comme "Moins on parle, mieux ça vaut, si tu as quelque chose à dire, tais-toi, si tu es content, tais-toi, si tu as du chagrin, tais-toi. Tais-toi, tais-toi, tais-toi". Ça a peut-être à voir avec la mère, ça".

"Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras plus jamais les pieds dans cette maison. Si tu vas de l'autre côté, gare à toi si tu vas de l'autre côté".

Maryse, la grande soeur, y est allée elle, de l'autre côté, et elle n'est jamais revenue, au grand désespoir de François, le narrateur. C'était la seule à lui manifester de l'affection, à l'appeler "mon Fifi", au sein de cette famille d'homme taiseux et brutaux. Il y a d'abord le père, puis les deux frères, Arthur et Jules, l'aîné maintenant que Maryse est partie. Jean-Paul, celui qui est au cimetière, on n'en parle jamais, c'est comme s'il n'avait pas existé. Silence aussi autour de la mère, sujet encore plus tabou que les autres. La seule fois où François a posé une question il s'est pris une raclée qui lui a passé l'envie de demander.

François, le petit dernier, travaille dur à la ferme, se croit nigaud et n'a pas l'usage des mots. Ses envies de tendresse, il les réserve aux cochons auprès de qui il trouve un peu de chaleur et de réconfort. Le grand silence autour des absentes le turlupine et voilà qu'il se met en tête d'apprendre à lire pour retrouver les traces de ses origines. C'est auprès de Roger, le curé, qu'il va obtenir l'aide dont il a besoin.

Je suis tombée complètement sous le charme de ce court roman, à l'écriture qui restitue tellement bien le monde dans lequel vit François, proche de la terre, des animaux, et si plein d'une humanité détonnante au milieu de cette famille qui est incapable de manifester et peut-être d'éprouver un sentiment quelconque.

Avec obstination, François va progresser dans sa propre histoire, à l'insu de tous, fasciné par la rivière qui borne son horizon et par les ruines qu'il voit au-delà. Plus il s'enhardira à se servir des mots qu'il a appris et à aller au delà de la ferme, plus il avancera dans sa quête personnelle et peut-être trouver les clés de sa liberté. Plusieurs personnes l'aideront, faisant grandir en lui son intérêt des autres et l'envie d'aimer.

J'en fais ma première pépite de l'année. Juste une petite frustration sur la fin, j'aurais aimé continuer encore avec François, c'est un roman qui mériterait une suite.

Avec ce titre, je participe au rendez-vous francophone de Maryline.

rendez-vous francophone       Non challenge des pépites de l'année   

 Challenge Asphodèle

L'avis de Anne Argali Maryline Tania

Prix des cinq continents de la Francophonie 2012

Geneviève Damas - Si tu passes la rivière - 158 pages
Le Livre de Poche - 2014