Le dernier gardien d'Ellis Island
"L'heure n'est plus à rêver. Je reste seul dans ce décor oublié, les derniers employés et le dernier passager sont partis il y a quelques jours ; je me fais l'effet d'un capitaine debout à la proue de son bateau qui sombre, mais en ce qui me concerne, j'ai déjà fait naufrage depuis longtemps, et je ne sais plus si partir sera déchirement ou délivrance".
Nous sommes à New-York, en 1954. Le centre d'immigration d'Ellis Island va fermer dans quelques jours et son directeur John Mitchell, écrit rapidement un journal pour relater ses principaux souvenirs et surtout pour soulager sa conscience pétrie de culpabilité. Il revient sur son mariage avec la douce Liz, tant aimée, qui hélas sera victime d'une épidémie amenée par un bateau. Mais ce qui lui coûte le plus, c'est l'évocation de Nella, magnifique jeune femme sarde, Nella dont il est tombé amoureux et à propos de laquelle il n'a pas lieu d'être fier de lui.
C'est ma première lecture de Gaëlle Josse, très appréciée sur les blogs, et j'ai dévoré son roman dans un souffle, portée par l'écriture et par la narration qui ne laisse pas de repos. Je connaissais suffisamment d'éléments sur Ellis Island pour me sentir à l'aise avec ce que raconte John Mitchell et j'ai pu me laisser happer sans difficulté par l'histoire romanesque, très habilement mêlée au fonctionnement pratique du centre.
J'imaginais les vagues successives d'immigrants arrivant après une traversée dans des conditions épouvantables, confrontés à une administration rigide et implacable, retenus là quelques heures, quelques jours et plus, souvent sans comprendre pourquoi, angoissés à l'idée de ne pas obtenir la fameuse autorisation d'entrée sur le territoire américain. Pour les employés ce n'est qu'un travail pénible et répétitif, pour chaque individu qui arrive c'est sa vie qui se joue, son avenir et celui de sa famille.
Mais revenons à John Mitchell. Entré là jeune comme simple employé, il va se faire remarquer par son sérieux et son efficacité, gravir tous les échelons jusqu'à devenir le directeur, celui qui décide de tout. Cela ne va pas sans quelques inimitiés et un certain isolement, mais il s'y sent bien. Il n'en bougera plus, la solitude ne lui pèse pas, la vie sociale l'ennuie lorsqu'il retourne à Brooklyn, auprès de son ami et beau-frère. Au fil du temps, il ne maintiendra que le minimum de liens. Nous comprendrons peu à peu qu'il vit surtout dans ses souvenirs, hanté par un acte coupable.
Je ressentais de la sympathie pour le narrateur, jusqu'à la révélation d'un certain évènement, qui m'a fait l'effet d'une douche froide. Il ne devient pas antipathique pour autant, par de nombreux aspects, mais je n'ai pas pu faire abstraction de ce que j'avais lu et qui change quelque peu la perception de l'histoire.
J'admire d'autant plus le travail de la romancière qui a su malgré tout m'intéresser jusqu'au bout à cet homme qui a connu son lot d'épreuves, de douleurs et qui n'en finit pas de se punir lui-même me semble-t'il. L'écriture est sobre, il n'y a rien de trop et elle coule simplement avec harmonie.
Un excellent moment de lecture. La bonne nouvelle, c'est que j'ai tous ses autres romans à découvrir.
L'avis de Asphodèle Blablablamia Clara Le Ptit Carré Jaune Sylire Valérie Yv
Sur Ellis Island, je vous conseille l'excellent documentaire de Georges Perec et Robert Bober (1980), il est disponible sur le site de l'Ina.
Gaëlle Josse - Le dernier gardien d'Ellis Island - 167 pages
Notabilia - 2014