"Il est temps de flâner dans cette vie, dans le peu que je sais d'elle, et de ramasser ce que j'ai vu. C'est par exemple très facile de voir apparaître la lumière de ce lundi quand ma mère crie qu'il faut fermer les persiennes et qu'il faut faire très très vite, que dehors c'est la folie, qu'elle n'a jamais vu ça, c'est la première fois, il ne faut pas se montrer au balcon, cachez-vous je vous dis. Elle parle à mon père et à moi. Faites rentrer Catia et Bambino aussi, on ne sait jamais, il peut y avoir des coups de feu. C'est très facile de convoquer ce jour-là parce que le bruit de ces secondes je le vois courir encore sur ma peau, tellement vives, tellement brûlantes, comme brûlées d'hébétude".
Colette Fellous est une voix familière, entendue à la radio depuis des décennies, notamment dans "Carnet Nomade" sur France-Culture. Je ne l'avais jamais lue, c'est une sensation assez curieuse d'avoir en même temps dans l'oreille, en imagination, le phrasé et les intonations de l'auteur. Pas de décalage entre sa manière de s'exprimer et son écriture, j'ai retrouvé la même personne et ce que j'aime dans ses émissions. Une manière de passer d'une histoire à une autre avec fluidité, de saisir des instants fugitifs, de solliciter des rencontres spontanées, l'amour du voyage et l'intérêt pour l'autre, quelqu'il soit, le mélange des langues et des cultures.
Ici, Colette Fellous revient sur son enfance et son adolescence en Tunisie, du temps ou communauté juive et arabe vivaient ensemble, du moins jusqu'au 5 Juin 1967, jour d'émeute, qui marque une rupture importante dans sa vie. Elle a 17 ans et s'apprête à passer son bac. Elle se souvient, et évoque le passé, le mélangeant à sa vie d'aujourd'hui, la vie là-bas dans sa famille, ses parents, son frère aîné, la chaleur, les bruits, les couleurs. Puis, après Paris pour les études, l'arrivée des parents, décalés dans ce nouveau pays.
Si j'ai été un peu troublée au début par un certain désordre dans les souvenirs, tout s'est mis en place à partir du moment où l'auteur revient sur les évènements de 1967 et ce qui en a découlé. La Tunisie tient toujours une place importante dans sa vie, elle est retournée sur place pour écrire ce livre, revoyant l'appartement de ses parents et son quartier, retrouvant quelques amis. C'est une grande voyageuse et sa vision des évènements actuels au Moyen-Orient est nourrie de son enfance tunisienne.
Mais c'est aussi une évocation des premières amours, de la place du père dans la famille, avec de très belles pages sur sa mort ; et la mère, fantasque et imprévisible ; le passage de l'enfance à l'adolescence, l'admiration pour le grand frère, le rêve de le retrouver à Paris. Un kaléidoscope tendre, en demi-teinte, auquel j'ai été sensible.
"Toute la nuit j'ai marché dans Paris, toute la nuit je l'ai appelé. Les phares des voitures, les fenêtres qui s'éclairaient s'éteignaient changeaient sans cesse de place, je marchais si vite, les ponts qui brillaient de leur masse dans le noir, les mirages des cafés, la fierté de la Seine, ça battait partout comme un coeur et mon père ne vivait plus, et toutes ces choses de pierre qui me regardaient pleurer tandis que peu à peu je devenais invisible, morte, démunie, non, tu ne le verras plus et cette fois ce n'est pas un rêve. Tout tremblait dans le monde. Tout me manquait."
Colette Fellous - Aujourd'hui - 161 pages
Folio - 2006
Mais c'est une raison insuffisante : je vais faire comme vous et l'écouter plus régulièrement en réglant le problème de réception ici.