Après minuit
Billet inhabituel ce matin, parce que je vais vous parler d'un livre lu il y a 34 ans. Si j'ai envie d'attirer votre attention sur lui aujourd'hui, c'est qu'un roman qui m'est autant resté en mémoire mérite que l'on y revienne. Et il trouve une résonnance particulière ces temps-ci me semble-t'il. On ne le trouvait plus, sauf sur les sites d'occasion, les Editions Belfond ont eu la bonne idée de le rééditer ce mois-ci.
Je vais m'appuyer sur la quatrième de couverture (la mienne, c'était les Editions Balland à l'époque), parce que j'ai retenu un climat particulier, pas les détails de l'histoire.
"Francfort 1936. La ville est surexcitée. Tout un petit monde de bourgeois, de commerçants, d'employés s'agite. Partout des banderoles, des oriflammes, les uns ont mis leurs plus beaux habits, les autres leurs uniformes tout neufs. Le Fürher vient d'arriver. Il prendra la parole à l'Opéra. C'est la fête.
Gaie, vive, Suzanne Moder a dix-huit ans. Elle se sait jolie. Avec ses amies, elle plaisante les garçons sur leurs tenues de parade. Certains paraissent franchement lourdauds. D'autres ne manquent pas d'allure. Les brasseries regorgent de bandes exubérantes. Amourettes, chansons, discussions passionnées, pourquoi ne pas s'abandonner à ce monde nouveau, enthousiaste et fascinant ?
Mais en réalité Suzanne a peur. Elle s'effraie de ce délire trop joyeux auquel elle sent, confusément, devoir résister. Certains signes l'inquiètent. La police et ses perquisitions, les juifs et leurs regards traqués, les ouvriers qui murmurent. Elle choisira donc, à dix-huit ans, de s'exiler volontairement et de fuir pour ne pas la haïr, cette Allemagne qu'elle aime tant."
L'auteure, Irmgard Keun, a connu un grand succès en Allemagne, en 1931, à la parution de son roman, Gilgi. Ses livres ont été interdits en 1933-34. Elle a eu une liaison avec Joseph Roth dans les années 36-38, fréquentait tous les grands écrivains et artistes de l'époque. Elle s'exila en Hollande et en Belgique de 1936 à 1940, puis reviendra clandestinement en Allemagne où elle restera cachée jusqu'à la fin de la guerre.
J'ai sorti mon exemplaire des étagères pour le relire et confronter ma lecture d'aujourd'hui, à celle d'hier. Retrouverais-je le même sentiment de peur diffuse, d'un quotidien qui glisse de la normalité à des manifestations de violence de plus en plus grandes en intensité et en fréquence dans, au mieux l'indifférence générale, au pire l'adhésion enthousiaste ? L'impression d'être seule dans un monde sourd et aveugle ?
Ce n'est pas un roman difficile à lire, il est vu à hauteur d'une jeune fille de 18 ans qui s'ouvre à la vie, et témoigne d'une lucidité plus grande que la moyenne.
A lire absolument.
Irmgard Keun - Après minuit - 181 pages
Editions Belfond - Mai 2014