La petite communiste qui ne souriait jamais
"Nadia plonge, sa jambe en arabesque derrière elle, un long soupir tracé au pinceau. Puis, son pied droit pointé devant, elle se détourne des mortes, des battues, tous ces sanglots de filles fracturées, et posément aligne - flic flac - les cartes de mauvais sort retournées, vaincues, une fois de plus, elle les salue, ils sont debout, follement aimants, bouleversés d'avoir goûté à l'odeur terrible d'un mauvais sort repoussé".
Il y a eu déjà tellement de billets sur ce roman que je ne reviendrai pas sur l'histoire, connue de tout de le monde j'imagine, celle de Nadia Comaneci, la petite gymnaste roumaine restée dans toutes les mémoires pour ses performances, notamment aux J.O. de Montréal en 1976.
14 ans. Un 10 qui a bloqué l'ordinateur, une mise en danger permanente, un corps de gamine affamée dont elle fait apparemment ce qu'elle veut, la fascination est totale, le public acquis, les medias euphoriques. Le lynchage n'en sera que plus cruel lorsque la petite fée quittera l'enfance pour les rondeurs de l'adolescence.
L'histoire est racontée par une femme admiratrice de la gymaste, qui décide d'écrire un livre retraçant son parcours, en lien avec Nadia. L'auteur imagine par ailleurs un échange de lettres et de coups de téléphone entre elles. Ce double point de vue donne une certaine épaisseur au personnage, laissant le lecteur libre de son interprétation et aussi intrigué que la narratrice par l'opacité de Nadia.
Tous les aspects de la vie de Nadia son balayés, l'entraînement avec Bela, la fameux manager qui a mené son équipe sur les plus hauts podiums, père de substitution, implacable, tendu seulement vers les résultats, au mépris de leur santé et des conséquences. Et on ne peut pas parler de cette époque sans plonger dans la réalité politique, la Roumanie de Ceaucescu, l'utilisation qui a été faite de Nadia, ses relations troubles avec le fils de .. (le Roitelet) et pour finir sa fuite aux Etats-Unis.
Le monde du sport de haut niveau, des instances internationales apparaissent sous un jour loin d'être flatteur. Au nom de la performance, on ne s'interroge pas trop sur l'état des gamines et ce qu'il y a derrière l'exploit. Même chose pour les medias, prompts à s'emballer, puis à jeter, avec ici un comportement misogyne et machiste intolérable.
Si je me souvenais très bien de l'irruption de Nadia Comaneci dans le paysage public, je ne m'y suis jamais intéressée d'assez près pour avoir suivi son évolution et l'attitude des medias à son égard, je n'avais pas conscience de cette violence terrible. Je n'ai rien appris par contre sur la folie de Ceaucescu et ce qu'il faisait de son pays, ayant fait un séjour là-bas lorsqu'il était au zénith. Mais il n'y a pas que la situation des pays de l'Est qui est évoquée, l'Occident n'est pas épargné, Nadia ayant à coeur de rappeler systématiquement que la liberté y est en trompe l'oeil. Les deux blocs sont renvoyés dos à dos.
C'est un livre fascinant, l'écriture est aussi forte que l'histoire, si le parcours de Nadia est décortiqué (tous les faits sont réels) elle garde son mystère en refermant le livre, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Lola Lafon sera à l'Abbaye de Gruchet-le-Valasse (Seine-Maritime) le samedi 17 Mai, pour une lecture musicale de son roman (Festival Terres de Paroles).
Prix de la Closerie des Lilas 2014
Le site de Lola Lafon
Lola Lafon - La petite communiste qui ne souriait jamais - 310 pages
Actes Sud - 2014