Du train où vont les choses à la fin d'un long hiver
"Quand Emma boit son thé, elle ressemble encore à Holly Hunter. Christopher ignore si c'est une bonne idée de le lui dire. Il se tait mais il sourit. Légèrement. Presque sérieusement. Quand il sourit ainsi, on peut croire qu'il pense à deux choses en même temps, que l'une d'entre elles le met mal à l'aise mais que l'autre pourrait le faire rire dans un instant".
Deux voyageurs en partance pour Lisbonne, le bercement d'un train qui prend son temps, deux inconnus qui vont partager pendant quelques heures des bribes de vie et des réflexions teintées d'une douce mélancolie. Peu de chose me direz-vous, mais le ton inimitable de l'auteur, sa douceur et son élégance font que je me suis glissée douillettement dans les pages, ravie d'écouter Emma et Christopher et de les accompagner.
Christopher est un opérateur culturel comme l'on dit aujourd'hui, qui ne se sent plus très bien dans le monde professionnel où il a gravité et qui va essayer une nouvelle voie, pendant qu'il est encore temps. Emma a connu elle aussi des turbulences dans sa vie récente ; chacun d'eux se trouve à une bifurcation, leurs confidences feutrées se répondent avec légèreté. Court roman ou longue nouvelle, comme vous préférez, j'en ai aimé l'atmosphère, la discrétion et la part de lumière.
Un extrait qui parlera peut-être à quelques-un(e)s par les temps qui courent :
"Répondre aux vrais besoins des gens, ceux qu'eux-mêmes ignorent la plupart du temps, ce serait normalement le rôle des dirigeants politiques mais ils se mettraient dans une position intenable. C'est pour cela, par exemple, que les projets qui consistent à apporter dans les écoles des livres de qualité et vraiment séduisants, des livres qui ne sont pas des barrières mais des tremplins, qui aident les jeunes à se connaître, à donner un peu de sens à leur vie, sont des projets voués à l'échec. Les amateurs de littérature sont usuellement des gens qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez et, crime impardonnable, ce sont de médiocres consommateurs. Il vaut donc mieux donner de l'argent aux télévisions, elles font ce que la littérature ne fait pas : elles donnent envie d'acheter. Moi, si je faisais de la politique, je n'aurais qu'un seul slogan : "moins mais mieux".
C'est ma participation au challenge du mois belge d'Anne et Mina.
Francis Dannemark - Du train où vont les choses à la fin d'un long hiver - 92 pages
Editions Robert Laffont - 2011