Les sangliers
"Quatre mois ne m'avaient pas suffi pour oublier qu'un allô de ma soeur Pauline contient invariablement cette manière d'attaque, de projection spéculative impliquant qu'un téléphone ne sonne, ne peut et ne doit sonner, que dans la perspective d'un échange susceptible d'apporter sa pierre à l'édifice universel, a fortiori s'il sonne chez Pauline, personne notoirement qualifiée pour contribuer à la bonne marche du monde."
J'ai découvert Véronique Bizot avec "le couronnement" roman qui m'avait enchantée par le ton décalé et l'histoire originale. "Les sangliers" est son premier recueil de nouvelles et j'y ai retrouvé ce ton si particulier, mélange de tragique et d'ironie d'une implacable lucidité. Sept nouvelles tournant souvent autour de la solitude, de l'identité, du "qui suis-je" et "qui est l'autre". Elles n'ont pas toutes le même intérêt, je ne les ai pas toujours comprises, mais l'écriture vaut le détour.
La meilleure est à mon sens la première, "le clignotant". Nous sommes dans un futur indéterminé, il semblerait que ce soit les enfants potentiels qui choisissent leurs parents. Ceux-ci se présentent devant un clignotant et doivent argumenter jusqu'à acceptation .. ou rejet. Le couple candidat, croyant plaider sa cause, s'enfonce en réalité de minute en minute. Le portrait qui en est fait en creux est épouvantable, le tout emballé dans une conversation en apparence très banale.
Dans une autre nouvelle "Danton", deux hommes attendent le retour de la femme qu'ils ont aimée tous les deux. Sur ses instructions, un curieux logement a été construit et elle va finir par arriver jusqu'à eux sous une forme .. inattendue.
Un piège se referme souvent au terme de chaque nouvelle, créé en général par le narrateur ou la narratrice. Ça pourrait être sinistre, il n'en est rien grâce à l'écriture et à l'échappée dans un imaginaire légèrement débridé.
Je vais poursuivre avec le recueil suivant "Les jardiniers".
"Il faut impérativement que vous soyez un garçon, a dit la femme, je ne voudrais pas d'une fille, avec une fille je ne saurais pas m'y prendre. Les garçons vénèrent leur mère, a dit Jacques, j'ai personnellement beaucoup aimé ma mère. Mais elle ne t'aimait pas, a dit la femme, ne te raconte pas d'histoires, elle n'avait que faire de toi. Tu as littéralement mendié son amour."
L'avis de Clara
Prix Renaissance de la Nouvelle 2006
Véronique Bizot - Les sangliers - 141 pages
Editions Stock - 2005