Profanes
"Elle a besoin ce soir de s'appuyer à l'humanité discrète et forte de ceux qui lisent. Elle s'attarde à observer l'un ou l'autre, debout, plongé dans la lecture qui l'emporte, le corps encore posé là, devant la table ou les étagères, et déjà hors du monde. Elle les dessine dans sa tête, attend de se fondre peu à peu dans cette drôle de famille, de sentir qu'elle fait aussi complètement partie du navire silencieux et rêveur. Alors ça ira. Il faut qu'elle soit reliée au monde de cette façon avant de retourner à la demande d'Octave Lassalle. Au bouleversement qu'elle pressent."
Octave Lassalle est un vieux monsieur de 90 ans, ancien chirurgien du coeur, retiré depuis longtemps. Sentant ses forces décliner, il anticipe l'aide dont il aura besoin et recrute quatre personnes, trois femmes et un homme, qui constitueront une équipe veillant jour et nuit à son bien-être. Chacun interviendra pour des tâches précises, dans une tranche horaire déterminée. Ils disposent tous d'une chambre au deuxième étage, libre à eux d'en disposer ou pas.
Au terme de sa vie, Octave Lassalle a besoin de creuser une vieille blessure inguérissable, la mort de sa fille Claire suivie du départ de sa femme, dont il a envié la foi, sans pouvoir la comprendre ni la partager. Ces quatre personnes si dissemblables vont tisser autour de lui un filet de liens, réinjectant de la vie là où elle était bloquée. Leur propre part d'ombre va venir en écho à celle d'Octave Lassalle, obligeant chacun à aller un peu plus loin dans une problématique personnelle. Avec beaucoup de subtilité, l'auteur nous fait pénétrer l'intimité des ces femmes et de cet homme, en gardant leur part de mystère intact.
Ce roman est un questionnement permanent sur le sens de la vie, la vérité que nous croyons connaître et qui se dérobe, en révélant une plus cachée, sur la foi, la spiritualité et explore la possibilité pour les hommes d'aller puiser le meilleur en eux, s'il en ont vraiment le désir.
Comme toujours avec Jeanne Benameur, je me suis retrouvée ficelée, captive, emportée par la beauté de l'écriture, de l'histoire, de la fluidité du texte. Et j'ai ressenti une immense tendresse pour les personnages, en particulier le vieux monsieur, affrontant la douleur avec tant de dignité. Un être humain debout.
"Maintenant il marche lentement. Il chasse tout de sa tête. Il voudrait juste être dans la douceur du jardin. Les fleurs se sont emplies de chaleur toute la journée. C'est le moment où elles exhalent leur parfum. Fort. Juste avant la nuit. C'est ce moment qui lui convient".
A lire absolument.
L'avis de Brize Clara Noukette Stéphie Un autre endroit pour lire
Jeanne Benameur - Profanes - 274 pages
Actes Sud - 2013