La montagne
"Rien, au fond, n'avait changé, bougé en moi depuis les nuits d'Algérie : debout devant la maison - pour voir ce que cela donnait, le couvre-feu, s'il y avait vraiment, comme on le disait, des balles perdues qui s'égaraient, qui pouvaient vous atteindre sans qu'on les voie arriver dans la nuit - je n'avais personne à qui parler, à qui prendre la main depuis que mes petits camarades étaient partis".
Le narrateur a 8 ans. Il joue dans la cour de la minoterie où son père travaille, avec ses camarades, dans une petite ville d'Algérie, pendant la guerre. Un jeune homme arrive avec une camionnette et propose aux enfants de les emmener dans la montagne, interdite à cause des évènements. Excités à l'idée d'y trouver de dérisoires trésors, les enfants montent dans la camionnette, sauf le narrateur, qui inquiet, les regarde partir.
Personne ne reverra les enfants vivants. La vie de l'auteur a été hantée par ce traumatisme et la culpabilité d'être le seul survivant ; il lui faudra plus de cinquante ans pour arriver à l'évoquer et à en faire un livre.
Ce court récit se lit d'une traite, il retrace une enfance en Algérie, heureuse jusqu'à l'irruption de la guerre. La vie dans une famille de pieds-noirs, modestes et profondément attachés au pays, persuadés d'y avoir leur place. Puis, la peur, les attentats qui se succèdent, plus personne ne peut se faire confiance, jusqu'au départ en bateau, laissant définitivement ses six petits camarades dans la montagne. Le père reste dans ce qu'il estime être son pays, pensant pouvoir y cohabiter avec les nouvelles autorités. Lourde erreur et il devra rentrer en France lui aussi, en catastrophe.
Le récit se poursuit avec la difficile adaptation de la famille dans la région de Perpignan et surtout la souffrance qui colle à la peau du narrateur, où qu'il aille et qui conditionnera bien des décisions ou des errances dans sa vie.
Des phrases longues, une écriture sobre et sensible, un récit marquant qui en dit plus qu'un livre d'histoire. A ne pas manquer.
J'ai eu la chance d'assister à une lecture d'extraits de ce récit, par le comédien Didier Flamand, en présence de l'auteur, lecture suivie par un débat. C'était très émouvant, l'auteur m'est apparu discret et profondément humain. Un vrai moment d'échange, loin des feux médiatiques. C'était dans le cadre de "Terres de Paroles 2012".
"La montagne" a reçu le Prix Marcel Pagnol 2012
Jean-Noël Pancrazi - La montagne - 91 pages
Gallimard - 2012