Un repas en hiver
"Je mis mon nez dans la vapeur qui montait de la casserole. Ça commençait un peu. L'oignon et le saucisson me chatouillaient. La semoule était encore au fond, elle n'avait pas commencé à gonfler. C'est elle que nous attendions. Mais peut-être bien qu'avec l'étagère et le banc, ça suffirait, et qu'on aurait encore la table pour manger. Je retournai m'asseoir. Au bout d'un moment Bauer se mit à baisser la tête et à la redresser presque aussitôt. Il somnolait à petits coups, comme ça. J'aurais bien aimé moi aussi."
Trois soldats allemands, en Pologne, pendant la seconde guerre mondiale. Leur quotidien est rythmé par la fusillade de Juifs dès le matin. Seule alternative pour y échapper, partir à la chasse, aux Juifs évidemment. S'ils ont la chance d'en ramener un, ils pourront encore échapper à la tuerie le lendemain.
Ils obtiennent la permission de leur commandant et peuvent échapper à la corvée qui leur pèse tant. Ils se mettent en route mollement dans la campagne polonaise, mordus par le froid intense, le ventre vide parce que la cantine était encore fermée. Ils s'enfoncent dans la neige, errent sans but, et contre toute attente, débusquent un jeune juif enfoui dans un trou.
Ils l'emmènent et toujours affamés, réunissent le peu de vivres dont ils disposent. Ils investissent une maison abandonnée où ils espèrent faire un feu et se cuire une soupe, soucieux de retarder le plus possible leur retour à la compagnie. L'irruption d'un paysan polonais ouvertement antisémite va bousculer le déroulement de leur projet.
Je n'en raconte pas plus, l'action se déroule sur une journée, le style est minimaliste, très simple. Il n'y a pas de description de violence et pourtant elle est bien là, présente dans les têtes de ces trois hommes dépassés, dont l'un se fait un sang d'encre pour son fils qui commence à fumer. Les interractions entre eux en disent long sur la grande misère des hommes plongés dans une guerre qui les détruit.
C'est incongru de parler d'un coup de coeur sur un tel thème, c'est pourtant le cas. C'est le premier roman de la rentrée qui me fait l'effet d'un uppercut et que je suis certaine de ne pas oublier. Une fois refermé, impossible d'occulter les questions qu'il pose sur ce qui constitue un être humain, sur ce qui nous constitue.
"Une fois debout, il leva les bras. Pas une plainte, pas un mot, nous n'entendîmes rien. Comme s'il s'y attendait. Dans son regard non plus, nous ne vîmes rien, ni peur ni désespoir. A peine si à travers son foulard nous l'entendions respirer. Le peu que nous apercevions de lui, c'étaient ses yeux sous le bonnet en laine. Ils étaient sales et cernés, mais pas encore assez pour cacher son âge. Ils étaient fatigués, mais encore pleins d'éclat".
A lire absolument.
L'avis de Cathe
Hubert Mingarelli - Un repas en hiver - 137 pages
Editions Stock - 2012