La déesse des petites victoires
"Que valaient leurs acrobaties philosophiques en regard du quotidien ? S'ils avaient été capables d'écouter, je leur aurait donné mon avis. Moi, je connaissais l'ordre du temps : dans l'enchaînement des points d'un ourlet, à la vaisselle lavée et rangée, dans l'alignement des piles de linge, repassé, à la cuisson parfaite d'une tarte qui embaume. Quand vous avez les mains dans la farine, rien ne peut vous arriver. J'aimais l'odeur de la levure, celle d'un ordre fertile. Je croyais en cet ordre de la vie à défaut de lui donner un sens.".
LE premier roman de la rentrée, celui qu'il faut lire et qui fait partie de plusieurs sélections. Et bien, je ne me joindrai pas au concert de louanges lu et entendu un peu partout.
C'est un livre qui possède des qualités indéniables. Echange à deux voix entre Adèle, vieille femme en fauteuil roulant, veuve du génie mathématicien Kurt Gödel, et Anna, jeune documentaliste de Princeton, chargée de récupérer les précieuses archives du grand homme. La rusée Adèle va s'amuser un peu avec Anna et lui demander de raconter sa vie en échange de la sienne. Anna va se prendre d'amitié pour Adèle et c'est un des meilleurs aspects du livre.
Comme je ne connaissais pas l'existence de Gödel jusqu'à présent, le mélange fiction-réalité ne m'a pas gênée. Adèle est née et a grandi à Vienne, où elle a rencontré Kurt. Petite danseuse de cabaret, leur alliance était plutôt improbable, elle s'est pourtant faite. Adèle aime la vie de la Vienne d'avant-guerre, bourdonnante, joyeuse, même si les signes avant-coureurs de la catastrophe sont déjà là. Kurt, jeune mathématicien plein d'avenir, la fréquente en cachette de sa famille. Adèle accepte déjà tout venant de lui.
Je suis toujours fascinée par l'évocation de la Vienne des années 30 et j'ai aimé toute cette partie du roman, bouillonnante et encore remplie d'espoir pour Adèle, malgré le premier internement de Kurt, dont le génie a des contreparties fâcheuses : l'anorexie qui l'accompagnera toute sa vie, la paranoïa et l'égocentrisme absolu. Confronté à l'arrivée des nazis, le couple finira par quitter l'Autriche et s'installer à Princeton où Kurt va devenir l'ami d'Albert Einstein et cotoyer plusieurs grands cerveaux de l'époque.
Et c'est là que le roman a commencé à me tomber des mains. Trop de longueurs et de digressions, l'histoire perd de son dynamisme. J'entends ici et là que l'aspect mathématique n'est pas gênant. Et bien moi il m'a paru envahissant, jargonnant, sans compter la philosophie, la méthaphysique et autres thèmes qui m'ont perdue en route. Sans compter que je n'ai guère compris le dévouement absolu d'Adèle à cet homme invivable, associal, qui l'a privée sans scrupules de bien des aspects de la vie. L'amour ? Mouais.
Ce n'est guère mieux du côté d'Anna, qui traîne une tristesse chronique, se sent médiocre en tout et ne se décide pas à changer quoique ce soit à sa vie.
Ce n'est que mon ressenti, c'est le cas typique d'un roman qui n'était pas fait pour moi, mais en enthousiasmera bien d'autres, j'en suis certaine, justement à cause de ce qui m'a rebutée.
L'avis de Dominique, détaillé, illustré et nettement plus positif que le mien.
Yannick Grannec - La déesse des petites victoires - 463 pages
Editions Anne Carrière - 2012