Cinq ciels
"Il faisait frais en ce début d'après-midi, et bientôt arriverait la fin de la journée, puis le soir tomberait sur le plateau. Il contempla l'horizon vers l'ouest, comme il le ferait vingt fois par jour pendant les deux mois qu'il passerait ici, et il vit les grands replis des montagnes lointaines et au beau milieu, les cônes préhistoriques, dans un ciel d'un bleu laiteux. Le ciel ici était partout, mais ce n'était jamais le même ciel, et il s'y tenait debout. Ronnie avait maintenant la scie circulaire dans la main et l'air résonnait de la vibration aigüe de la lame métallique qui traversait le bois en trillant".
Trois hommes sur un chantier grandiose, attelés à la réalisation d'un projet fou. Trois hommes réunis par hasard, qui vont apprendre à se connaître pendant les deux mois que durera le chantier.
D'abord Darwin, le contremaître qui a recruté les deux autres, en colère depuis la mort brutale de sa femme, il a quitté sa maison et se consacre à ce projet, isolé loin de tout et de tous.
Puis Arthur, lui aussi a eu une bonne raison de tout plaquer. Depuis plusieurs mois, il erre de chantier en chantier, pourquoi pas celui-là, même s'il estime que c'est un mauvais projet.
Et enfin Ronnie, le plus jeune de la bande, petit voleur sans envergure, qui n'a guère le choix qu'entre la prison ou le travail dans cet endroit où personne ne viendra le chercher.
Une histoire d'amitié virile, se déroulant sur un chantier, ce n'était pas gagné d'avance et pourtant quel coup de coeur ! J'ai été embarquée immédiatement dans ce coin suspendu entre ciel et terre, suivant pas-à-pas les progrès des travaux. Comme dans "le signal" l'auteur fait preuve d'un formidable talent pour décrire la nature et l'évolution des relations entre les trois hommes. Progressivement, une forte amitié va s'installer entre eux. C'est d'une grande finesse et d'une humanité discrètement présente.
Les descriptions du chantier sont très visuelles, le canyon vertigineux, la rivière en bas, l'horizon illimité, l'aube dans la solitude, au coeur des montagnes de l'Idaho. Je retiens un passage particulièrement réussi, où Diff, le financeur du projet, emmène les trois hommes à une partie de pêche au fin fond du canyon.
Il y aura des rencontres qui se feront pour certains, ils seront confrontés à des difficultés imprévues, les travaux ne plaisent pas à tout le monde dans le secteur, mais l'intérêt du roman, c'est surtout l'amitié entre les trois hommes qui s'approfondit de jour en jour, les aidant à surmonter leurs propres problèmes. S'il ne se passe pas de grands évènements pendant ces deux mois, les dernières pages réservent un final inexorable.
"Darwin toucha la tasse de Key avec la sienne et but une gorgée. Les deux hommes restèrent dans les ténèbres muettes. La rivière n'était plus qu'un murmure et le ciel continuait à se peupler d'étoiles. Silencieux sur la mesa embaumant la sauge, ils sentaient la chaleur du whisky dans leur gorge, et pour Key, le silence paraissait une sorte d'équilibre entre une chose et la suivante, un pivot en quelque sorte, aussi solide et important que le poids qui l'accablait. Dans tous les coins du ciel nocturne rempli d'illusions, des satellites fusaient et d'autres lumières se déplaçaient par intermittence. Pendant un moment Key y vit l'image de ce qui se passait dans sa propre tête, tout était si loin, épinglé sur le mur lointain de la connaissance, la distance entre les choses à venir et lui était immense et ne cessait d'augmenter. Il sentit l'air froid derrière ses oreilles et le long de son cou".
Un grand merci à la librairie Dialogues
Ron Carlson - Cinq ciels - 258 pages
Editions Gallmeister - 30 Août 2012