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9 mars 2012

L'intranquille

L'intranquille"Je suis le fils d'un salopard qui m'aimait. Mon père était un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Mot par mot, il m'a fallu démonter cette grande duperie que fut mon éducation. A vingt-huit ans, j'ai connu une première crise de délire, puis d'autres. Je fais des séjours réguliers en hôpital psychiatrique. Pas sûre que tout cela ait un rapport, mais l'enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps je n'ai été qu'une somme de questions. Aujourd'hui, j'ai soixante-trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j'ai compris." (4e de couverture)

Je connais un peu l'oeuvre de Gérard Garouste, je sais qu'il a créé une association "la Source" qui s'occupe de jeunes en difficulté, que c'est un artiste reconnu internationalement et c'est tout. J'étais loin de me douter du parcours chaotique et douloureux qui fut le sien.

Les problèmes ont commencé tôt avec son père, homme tyrannique et violent, capable de dîner avec un révolver sur la table ou de menacer de précipiter la famille dans le vide en voiture pour faire taire sa femme. Malheureux, le jeune Gérard ne trouve de répit que pendant les vacances en Bourgogne, chez un couple à qui il est confié, Casso et Eléo.

"C'était un autre monde, figé dans le temps, où l'électricité était encore capricieuse. La lampe à pétrole était toujours sur la table, laissant filer une odeur d'essence que j'aime encore. Elle dessinait aux visages et aux fenêtres des ombres et des lumières. J'ai eu bien des frayeurs là-bas, mais la peur sous un arbre de Bourgogne n'a rien à voir avec celle qui me tenaillait sous le dernier réverbère avant la maison de mes parents. La peur m'ouvrait l'imagination, elle m'entraînait vers un conte mystérieux".

Mais le temps des vacances est trop court, et Gérard demandera à partir en pension pour fuir le climat familial. Son père, lui offrant malgré tout le meilleur, le fait entrer dans une école privée, où ses copains s'appelleront Patrick Modiano et Jean-Michel Ribes. Il finira par se faire renvoyer et c'est dans l'école suivante qu'il rencontrera sa future femme, Elisabeth, celle qui le soutiendra, indéfectiblement. Lui dont le père est un antisémite avéré va épouser une femme juive, dont les ascendants polonais sont morts à Auschwitz.

Il n'est bon en rien, sauf en dessin. Son père paie à nouveau des cours et c'est dans cette voie-là qu'il s'engagera.

Mais le passé pèse d'un bon poids et à 28 ans, avant la naissance de son premier enfant, il fait sa première crise de délire, qui l'amènera à l'hôpital psychiatrique. De nombreuses autres crises suivront, l'empêchant de peindre sur de longues périodes.

Cette forme d'autobiographie écrite en collaboration avec Judith Perrignon est d'une totale sincérité et la plupart du temps bouleversante. Gérard Garouste décrit sans fioritures ses crises de délire et les ravages qu'elles provoquent sur son entourage. Il évoque également son parcours de peintre, ses rencontres, ses premières expositions à New-York, organisées par un célèbre marchand d'art.

C'est le parcours intérieur de l'homme qui est le plus intéressant, le contentieux jamais vraiment réglé avec son père, la voie qu'a tracée le fils en apprenant l'hébreu "J'ai trouvé au plus profond de moi, de ma honte, des choses que je pense universelles. J'ai démonté les textes et les catéchismes, j'ai voulu briser le moule qui a modelé et rendu passif notre regard, j'ai pris à bras le corps la religion, elle a envahi mes toiles, mes coups de folie qui bien souvent se sont terminés sur des parvis d'église ou de cathédrale. J'aurais pu l'ignorer, rejoindre les athées éclairés de ma génération, mais j'ai voulu prouver qu'elle se trompait, qu'elle avait fait des ravages dans la tête des hommes, à commencer par celle de mon père à qui j'aurais tant voulu parler."

Il n'est pas possible de rendre compte de toute la richesse de ce court texte, il m'a beaucoup touchée et il est certain que je ne regarderai plus les toiles de Gérard Garouste avec le même oeil. 

L'avis de Annie (Du soleil sur la page) Cathulu Gwenaëlle In Cold Blog Mango Zarline

Garouste

Gérard Garouste avec Judith Perrignon - L'intranquille - 155 pages 
Le Livre de Poche - 2011

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Commentaires
A
@ Christine : tu as de la chance, il n'est pas très gros et c'est un poche ;-)
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C
Je ne peux venir sur ton blog sans trouver un nouveau livre à inscrire sur ma liste, celui-ci
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A
@ Theoma : je n'ai pas lu Delphine le Vigan, mais ce texte là, je peux te dire qu'il est puissant. Il te happe et ne te lâche plus. Il réussit à nous faire toucher un peu du doigt ce que peut être cet enfer des crises délirantes pour celui qui les vit.
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T
c'est Delphine de Vigan qui en parle bcp dans Rien ne s'oppose à la nuit, du coup je l'ai noté. Il m'attend.
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A
@ Brize : çà te donnera peut-être l'occasion de le lire ;-)
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