Le Club des Incorrigibles Optimistes
Je vois mal comment résumer un roman aussi foisonnant, truffé de multiples histoires dans l'histoire .. Je vais surtout essayer de vous donner envie de le lire parce qu'il le vaut amplement.
Michel a 12 ans en 1959. Il vit à Paris au sein d'une famille bourgeoise. L'école ne le passionne pas, surtout les maths où il est nul, malgré les efforts de son frère Franck pour l'aider. Il préfère le suivre au café où il s'initie au baby-foot et devient un excellent joueur. C'est dans ce café qu'il fera des rencontres majeures et qu'il découvrira l'existence du Club des Incorrigibles Optimistes, composé de réfugiés de l'Est, joueurs d'échecs, hauts en couleurs et porteurs d'innombrables souffrances.
Le roman se déroule de 1959 à 1964, sur fond de guerre d'Algérie, de guerre froide et de gaullisme. Ce seront les années d'apprentissage de Michel, qui en apprend plus au café Le Balto qu'à l'école.
Je suis entrée avec facilité dans cette lecture et ne l'ai plus quittée pour plusieurs raisons. D'abord la chaleur humaine qui s'en dégage. L'auteur a réussi à nous rendre tous les personnages familiers, y compris les salauds. Il y a l'entourage familial, les parents si dissemblables, la soeur Juliette, bavarde impénitente, le grand frère modèle, Franck, et les amis, Nicolas le fidèle qui permet à Michel d'avoir des notes honorables en maths, Pierre, le révolutionnaire qui va changer sa vision des choses en étant appelé en Algérie, Cécile, la petite copine de Franck, fantasque et imprévisible ..
Mais le coeur du livre, ce sont les membres du Club, des Russes, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois, ayant dû tous fuir en abandonnant tout derrière eux. lls s'attendaient à être reçus à bras ouverts, ce qui fut loin d'être le cas.
"Ils n'avaient qu'une idée en tête : avoir leurs papiers, ne pas être arrêtés lors d'un banal contrôle d'identité, ne pas se faire expulser, pouvoir enfin poser leur valise, laisser le passé derrière eux, recommencer une nouvelle vie, travailler. Etre en règle, c'était leur obsession. Seuls ceux qui ont été en situation irrégulière peuvent comprendre l'angoisse permanente du réfugié qui, après avoir sauvé sa peau, doit lutter contre cet adversaire mystérieux : le fonctionnaire de la Préfecture."
Michel passe de plus en plus de temps en leur compagnie, les écoute refaire le monde, discuter du communisme, du socialisme, de la guerre d'Algérie, de littérature, d'échecs, de la société.
"Avec eux, c'était le paradis ou l'enfer. Il n'y avait pas de milieu. Soudain, entre ceux qui haïssaient le système et ceux qui croyaient en l'avenir du genre humain, çà explosait. Deux ou trois commençaient à hausser le ton. Ils oubliaient le français pour reprendre leur langue d'origine, transgressant la règle édictée par Igor. Ils s'y mettaient en bloc, même ceux qui ignoraient la cause de l'altercation. Pendant dix minutes, c'était un capharnaüm babélique. Ils s'insultaient, donnaient l'impression qu'ils allaient se sauter au visage, se traitaient de tous les noms, se crachaient au visage les pires abominations."
Les épreuves ne vont pas manquer dans la vie de Michel, entre le mariage de ses parents qui bat de l'aile, son oncle et sa famille rapatriés d'Algérie, son frère Franck qui a gravement dérapé. Il tombera amoureux et là encore, il devra abandonner quelques illusions. Le tableau serait incomplet si je ne vous disais pas que c'est un lecteur compulsif, qui lit même en marchant ! ce qui donne des pages pleines de fougue sur les livres.
"Je me contrefichais de mes notes, de passer dans la classe supérieure et de la carotte de mon avenir. Je continuais à lire, le bouquin sur mes genoux et le cartable ouvert en dessous pour le laisser tomber dedans, au cas rarissime ou le prof viendrait à se dégourdir les jambes dans les allées. Kazantzakis me donnait du mal. Impossible de rester concentré sur la Liberté et la Mort. Mon esprit vagabondait. Je pensais à Cécile. Où était-elle ? Que faisait-elle ? M'en voulait-elle toujours ? Quand la reverrais-je ?
Dans ses moments de détresse, il se tournera vers ses amis du Club, surtout le mystérieux Sacha que tous les autres détestent sans vouloir dire pourquoi. Michel finira par découvrir le secret qu'ils cachaient et qui donne une tonalité soudain plus grave au récit, mais aussi toute sa force.
C'est un roman extrêmement vivant, mené à un bon rythme. On y croise au détour d'une page Sartre, Kessel, Noureev .. Le style n'est certes pas extraordinaire, les allers-retours entre passé et présent sont quelquefois désordonnés, mais pas de quoi se priver d'un tel bonheur de lecture.
Il faut dire qu'il avait tout pour me plaire. J'ai fait quelques séjours dans les pays de l'est à partir de 1968 et je me suis sentie en terrain connu avec toutes les histoires racontées.
Il a obtenu le prix Goncourt des Lycéens 2009. Bravo aux lycéens de ne pas s'être laissés intimider par l'épaisseur du livre.
Alinéa Amanda Annie Clarabel Esmeraldae Gambadou Kattylou Ptit Lapin Restling ont aimé autant que moi.
Lavroueg est plus partagée.
Marie a abandonné en cours de lecture.
Jean-Michel Guenassia - Le club des incorrigibles optismistes - 757 pages
Albin Michel - 2009