LA PEINE DU MENUISIER
"J'entendais le silence du Menuisier, parfois effrayant, et l'histoire qu'il semblait raconter, tant les ondes propagées étaient puissantes, et, passé les premières années de candeur, je me cachais pour me protéger. La menace d'un danger ne faisait aucune doute."
La narratrice arrive tardivement dans cette famille bretonne des année 1960, dix-neuf ans après sa soeur Jeanne, qualifiée de folle, aux crises imprévisibles et terribles. Le Menuisier n'est autre que son père, qui ne sera pas nommé autrement tout au long du livre.
Livrée au silence, la petite fille est hantée par tous les morts de sa famille, ses "encadrés" dont les photos ornent les murs et c'est à eux qu'elle pense en permanence, eux dont l'existence lui parle davantage que celle des vivants qui l'entourent, sa grand-mère Mélie, sa mère Louise et Jeanne, la soeur si proche.
L'atmosphère est oppressante, l'étouffement de la famille palpable. Les descriptions de la vie dans la campagne bretonne à cette époque là viennent heureusement apporter des touches plus légères dans ce récit angoissant. La petite fille s'habitue et s'adapte au silence de son père. Elle s'efface peu à peu et fait ce que l'on attend d'elle : apprendre bien à l'école, ce qui lui permettra de prendre de la distance vis-à-vis de sa famille. Elle ne pose plus de questions et se débrouille seule avec ses intuitions et les bribes de phrases inexplicables qui surgissent parfois.
Elle va chercher longtemps avant de reconstituer les fils cassés de son histoire et de celle de son père. Celui-ci aura disparu entre temps, sans que la rencontre ait eu lieu entre eux deux, jamais. Quand le Menuisier a essayé de lui parler, peu de temps avant sa mort, c'était trop tard. La petite fille en grandissant avait fait sien le mutisme du père.
"Les mots s'accrochent aux parois de la gorge comme les eaux se fracassent contre celles d'un barrage. Ils s'étouffent peu à peu. Je ne sais plus parler. Statufiée, j'attends que tout çà finisse et qu'on me laisse tranquille, et qu'on ne me parle plus, qu'on ne me touche plus, qu'on ne me regarde plus !".
Une lecture bouleversante et éprouvante dont je ne suis pas sortie indemne. Au delà de la relation père-fille impossible, le thème central est celui des transmissions générationnelles ravageuses, les évènements que des familles entières décident tacitement de taire, sans trop s'interroger sur les souffrances qui en découlent pour tous.
La fin du récit est glaçante, mais illustre sans doute assez bien la façon dont les problèmes se règlaient éventuellement jadis, dans les campagnes profondes. La narratrice peut enfin se réapproprier son histoire, un peu tard pour elle sans doute.
Un premier roman magistral.
Merci à Cathulu
L'avis de Bellesahi Cuné Lou Yvon
Esmeraldae ne l'a pas aimé.
Marie Le Gall - La peine du menuisier - Phébus - Août 2009